Jeanne Bucher a, dès l’origine de la galerie, su apprécier dans les dessins de sculpteurs la présence d’une forme encore naissante dans son essence et sa magie. Une exposition de sculptures et de dessins d’Henri Laurens s’était tenue dans les petites salles du 9ter du Montparnasse, sous l’Occupation, en juillet 1942. En 1951, Jean-François Jaeger présente les dessins de Chauvin. À l’automne 2005, Véronique Jaeger expose les dessins de Dani Karavan, ainsi que les maquettes préparatoires à la réalisation de la sculpture environnementale d’un kilomètre de long de l’artiste, à Murou au Japon.
A l’occasion de la semaine du dessin à Paris, la galerie a choisi de mettre à l’honneur les Dessins de Sculpteurs, de Dubuffet à Shingu, en passant par Giacometti et Rodin, liés à divers degrés, à l’histoire de la galerie. Le dessin Bruno Lisant de Giacometti est une œuvre datant de l’époque à laquelle Jeanne Bucher l’a exposé, en 1929. La Fortune (Circa 1906) de Rodin correspond à la période durant laquelle Pierre Bucher, frère de Jeanne, a organisé, pour la Société des Amis des Arts de Strasbourg, l’exposition française de 1907 où sont exposés, entre autres, Rodin, Besnard et Cottet.
L’exposition entre en totale résonance avec une actualité importante en 2018 pour plusieurs de ces artistes, comme Dani Karavan, Jean-Paul Philippe, Susumu Shingu et Paul Wallach.
Interpellés par la ligne et le volume, le contour et la densité, le linéaire et le plastique, tout autant que le plein et le vide, les sculpteurs s’attellent au dessin à la recherche de l’expression des volumes et des idées, couchés sur la feuille par des ombres et des lumières, selon des techniques propres à chacun. L’exercice du crayon chez Giacometti ne serait-il pas le moyen nécessaire, permanent, pour lui de « voir », et le blanc de la feuille le lieu le plus immédiat, le plus inquiet aussi, d’une tentative « sans fin » car toujours recommencée pour capter dans l’espace et dans la lumière, la présence vivante, fuyante, de l’être ou de l’objet qui lui fait face ?
Que le dessin soit pour le sculpteur l’esquisse d’une œuvre à venir, ou qu’il soit une entité à part entière, l’âme du créateur y est éminemment incarnée, sans recours à des reliefs ou des moulages. Cette exposition de dessins de sculpteurs tend à signifier l’évidence entre la feuille de papier et l’œuvre aboutie, mettant en avant, dans une épreuve d’une exigence absolue, la tension du volume vers le plan ou l’incarnation d’un dispositif sculptural véhiculant une idée unique et précise.