Parce qu’il serait trop facile de laisser cohabiter classiquement et paisiblement la peinture avec la toile, son support de prédilection depuis le XVe siècle, Richard Jackson a choisi de séparer ce couple confortable. Ces deux-là se connaissent trop bien. Le manifeste pourrait s’arrêter là. Il pourrait en effet se contenter de rompre avec un paradigme dominant, comme d’autres artistes du reste ont choisi de le faire, mais il va bien loin. L’artiste considère en outre que le doux ménage formé par le pinceau et la peinture est lui aussi un poncif, incomplet, éculé. Radical, Jackson trouve jubilation dans le dépassement, le renouvellement et l’extension des pratiques picturales. Se départir des vieilleries donc, avec provocation comme on a pu le dire. Mais il n’est pas interdit de penser que sa démarche se situe surtout du côté d’un humour tout expérimental mis en oeuvre depuis les années 1970.
Très tôt, il retourne les toiles, les plaque face au mur. Il leur tourne ainsi le dos et donne à voir à côté d’elles des cercles formés par des aplats acryliques qui jaillissent à même le mur. Avec Jack-son, les couleurs se cognent contre les parois, comme un oiseau se cogne à une fenêtre attiré par la lumière. La confrontation est vive. Signifiante. En 1972, ce sont des portes, par leur mou-vement de va-et-vient qui se chargeront de se substituer aux pinceaux. A leur tour, les essuie-glaces, en 1977, qui étalent la matière épaisse et colorée sur des pare-brises. Plus tard, dans les années 2000, les roues d’une vespa par leur mouvement circulaire font naître sur le sol un tableau horizontal. Les pinceaux sont morts. Vive la peinture. Cette dernière vit d’elle-même, elle acquiert avec Richard Jackson une autonomie et se débarrasse de ses oripeaux. Tout naturellement, l’artiste déteste les monochromes. Euphémisme, il les tient en horreur. Alors tous les moyens sont bons, et beaux, pour y échapper.
Jackson ne cesse de démontrer que peindre est une action dont le peintre peut être exclu. Paradoxe fécond qui situe théoriquement l’artiste du côté de l’élaboration de dispositifs. Plus intéressé par la fabrication, la production, le faire, il met inlassablement en place des mécanismes comme autant de programmes vivants. Au sein de cette exposition, il poursuit cette entreprise de déconstruction et de déplacement du medium en reconstituant le bar de La Palette, à échelle 1.
Il aura fallu plusieurs années de réflexion pour y parvenir. Avant de jeter son dévolu sur cette institution de Saint – Germain qui draine avec elle une imagerie fran-çaise fantasmée par les américains, il avait d’abord pensé au Moulin Rouge, cliché s’il en est. Cette contextualisation pleine d’humour, clin d’oeil à des représentations surannées, rend hommage au vieux monde kitch du peintre de chevalet en veillant à lui injecter un sang nouveau. La machine tourne, la mécanisation du bar qui diffuse de la peinture de façon aléatoire dans la galerie est ce train à grande vitesse du renouveau de la peinture. Avec finesse, drôlerie, Jackson surplombe et prend du champ, ainsi de son chien qui urine sur le Orange County Museum of Art (OCMA) qui l’exposait il y a peu et encore visible récemment au sein de l’exposition «Ain’t Painting a Pain» au S.M.A.K. Jackson, comme l’attitude de ce chien, enjambe l’histoire de l’art et pré-fère au sérieux, la pure jouissance.