Gudny Rosa Ingimarsdottir, Deanna Maganias et Tatiana Wolska : trois artistes, trois femmes, trois univers fort différents mais qui, à mes yeux de « lecteur » d’œuvres d’art, témoignent d’une attention singulière et, plus encore, d’une exigence à l’endroit de l’inconscient dans la mise au travail de ce qui les travaillent – au creux de cette mise en forme laborieuse, méticuleuse et répétitive de l’informe qu’est la création artistique. Je ne parle pas de l’inconscient au sens galvaudé du terme – cette espèce de réservoir imaginaire auquel il est souvent réduit, à tort – mais du réel indicible, fantasmatique, organique, onirique auquel on ne cesse de se cogner dans l’existence, ainsi que la psychanalyse nous le donne à penser. L’inconscient, c’est la grammaire indéchiffrable de notre être au monde – c’est donc un langage codé. C’est aussi ce défaut insistant du sens qui troue notre discours : ce qui du sens passe continument à travers les mailles du filet que nos mots lancent sur le réel. C’est encore et surtout la permanence invariable de cette pulsion qui nous habite, de cette pulsation qui nous agit(e) : une faille, un trou, une béance qui s’ouvre et se ferme constamment en nous, non sans former des plis, des creux, des crêtes – des accidents de terrain – à la jointure. Une béance qui se referme d’ailleurs plus vite qu’elle ne s’ouvre : c’est ce que soulignent les parenthèses dans l’intitulé de cette exposition collective, Something (un)conscious.
L’inconscient est essentiellement affaire de répétition. Et sa mise au travail ne l’est pas moins, comme en témoignent les productions singulières des trois artistes ici réunies : c’est dans la répétition des gestes, des formes, des motifs, des techniques, des matières que s’origine la prolifération de ces œuvres qui reprennent, reprisent, refondent, retissent, recousent, réassemblent les éléments épars d’un réel indicible. Maintenir la faille entrouverte, se tenir au plus près de son bord vertigineux pour que quelque chose de l’inconscient puisse passer dans le conscient – devenir dicible, lisible ou visible – demande donc une attention soutenue à cette inquiétante opacité de l’être qui fait sans cesse retour dans l’existence. J’ajouterai que les femmes m’ont toujours semblé assumer davantage que les hommes la nécessité d’une telle prise sur l’inconscient dans l’ajustement permanent de leur position, de leur discours et de leur réalisation(s). Et de fait : ma curiosité infinie à l’endroit ce qui spécifie, à mon sens, la position féminine se trouve attisée et superbement nourrie par ces œuvres qui me donnent accès à un questionnement radicalement autre que celui de l’homme que je suis. Ainsi, chacune de ces artistes, dans la singularité de son travail, me semble soutenir une haute exigence à l’endroit de cette part obscure de l’humain, autant que l’effort de sa répétition – et leurs œuvres l’honorent, qui savent (r)ouvrir l’inconscient du regardeur.