À l’occasion de l’édition 2025 du salon Drawing now Paris, la galerie Huberty & Breyne présente un solo show de l’artiste Milan Jespers. Il s’agit de la deuxième exposition personnelle de ce jeune artiste talentueux et la première en France.
Milan Jespers (1992, Bruxelles) est diplômé de l’École Supérieure des Arts Saint-Luc, section bande dessinée. Marqué par la dimension narrative du 9ème art, un intérêt particulier pour l’histoire et le récit silencieux des photographies du XIXe siècle, l’artiste explore l’esprit figuratif d’une époque où coexistent le déclin d’un monde spirituel, superstitieux et l’émergence d’un monde moderne, rationnel et industriel.
Milan Jespers élabore ses images dans un équilibre subtil entre révélation et restitution, partagé entre le regard d’un dessinateur et celui d’un peintre. Usant d’une palette à l’aquarelle fidèle aux teintes traditionnelles sépia des premières photographies, il intègre des motifs colorés qui évoquent chromatiquement notre modernité. Travail de précision et de patience, l’artisanat du pinceau répond à ce procédé révolutionnaire et rapide de la photographie qui sert ici de modèle, la peinture répondant à la nécessité contemporaine de « prendre le temps ».
Ainsi, l’artiste explique : « Lorsque je peins, je confère aux images que je produis une esthétique proche des photographies d’archives historiques, médicales ou anthropologiques, telles qu’on les rencontrait au XIXe siècle et au début du XXe.
Mon travail repose sur une recherche incessante, où je collecte, croise, lie, décontextualise et recontextualise divers documents – photographies, littératures, motifs et matières – que je m’approprie ensuite par la peinture. J’exploite l’aquarelle de manière non conventionnelle, en multipliant les couches pour lui donner une densité inédite, inhabituelle pour ce médium.
Je puise dans les codes de la photographie ancienne : son ancrage statique, sa solennité, ses normes rigoureusement définies de cadrage et ses flous techniques. Ces caractéristiques, je les transpose dans ma pratique tout en y intégrant des éléments d’une contemporanéité assumée.
À travers cette combinaison d’éléments visuels interprétés, je m’attache à recréer ce qui pourrait s’apparenter aux archives fictives d’un naturaliste de la fin du XIXe siècle : un inventaire narratif fragmenté et volontairement décousu. Ce corpus propose une relecture critique de notre histoire occidentale moderne, en interrogeant sa représentation des corps, ses mœurs, ses codes esthétiques, ses politiques prédatrices, et son rapport à l’Antiquité comme à la nature. »
Utilisant les photographies d’annales - figures étranges et fantomatiques du passé - ses sujets intimes à l’aquarelle se mêlent souvent à l’aspect plus grave et démonstratif de la photographie du XIXe siècle. C’est ce rapport entre intimité et représentation « photographique » que Milan Jespers explore dans cet ensemble de dessins produits entre 2023 et 2025.
Intitulée « Vergogna » (du latin : retenue, pudeur, honte), la première série se compose de quatre portraits en pied montrant des hommes à demi-nus dans un intérieur modeste.
« Qui a bu, boira ».
C’est contre cette maxime que s’est formée la seconde partie des travaux présentés lors de l’exposition, signant la fin d’une ère et dévoilant des chairs tourmentées et des silhouettes se dissimulant derrière de lourds tissus à l’ombre de palais de porcelaine. Figures liées à une décennie d’excès, de remords, de voyages cosmiques et trous noirs, de bile, d’angoisse et de honte. Dans Le mariage du ciel et de l’enfer (1790), le poète visionnaire William Blake affirmait que « la route de l’excès mène au palais de la sagesse ». Bien que certains dessins n’entretiennent pas un lien direct et intime avec l’alcool, ils offrent une opportunité d’explorer, sans artifice, cette substance singulière et les perspectives qu’elle a engendrées à travers la création.
L’alcool est peut-être l’un de ces corrosifs salutaires et médicinaux que Blake considérait comme nécessaires pour nettoyer les portes de la perception, permettant ainsi à l’humain de voir chaque chose telle qu’elle est : infinie.
Entre poison et antidote, l’alcool évoque le pharmakón (φάρμακον), utilisé par les oracles pour affiner leur perception autant que pour ses vertus thérapeutiques. C’est également le titre donné à cette série de petits dessins représentant des bouteilles, des verres et des livres.
Entre honte et pudeur, le dessin The pig incarne cet avatar démiurgique de ces comportements indignes dont on préfèrerait ne pas se souvenir.
« Des flots de vin remplissaient les ornières creusées par les soubresauts nerveux de ses épaules. L’abrutissement, au groin de porc, le couvrait de ses ailes protectrices et lui jetait un regard amoureux » Extrait du Chant II des Chants de Maldoror du comte de Lautréamont.
Ainsi, pour Drawing now, Milan Jespers proposera une série d’une vingtaine de dessins inédits, de grands et petits formats qui viendront s’entremêler et s’entrechoquer, proposant une nouvelle lecture de notre relation au présent et à l'histoire.