Vingt ans après la disparition de Martin Barré, la Galerie Nathalie Obadia est honorée de consacrer une exposition inédite à ses tableaux des années 1970, une période décisive et peu montrée de son œuvre, qui marque le retour à la peinture après une parenthèse de recherche conceptuelle, installant la série au cœur de son dispositif.
Figure majeure de l’abstraction, Martin Barré questionne les données fondamentales de la peinture: le format, le geste, la série, l’accrochage. «Je ne peins pas pour livrer des états d'âme » dit-il dans un entretien de 1977, « j'utilise une règle, une règle du jeu; je la transgresse quand la peinture l'impose.»*
Cette exposition à caractère historique s’inscrit dans l’entreprise de redécouverte de l’œuvre de Martin Barré initiée depuis 2006 par la Galerie Nathalie Obadia. Elle prolonge la présentation à l’automne 2010 de l’exposition « 91 » qui donnait à voir une série complète de tableaux réalisés pour la première Biennale d’Art contemporain de Lyon et l’ « Hommage à Martin Barré » orchestré à l’été 2006 par Jean-Pierre Criqui, confrontant des tableaux de Martin Barré à des œuvres d’autres peintres, parmi lesquels Robert Mangold, On Kawara, Christian Bonnefoi, Christopher Wool, Pascal Pinaud…
L’exposition rassemble une sélection significative d’œuvres de Martin Barré, de 1972 à 1977, en suivant les étapes essentielles de la démarche picturale de l’artiste au cours d’une période déterminante de son travail qui le voit pour la première fois opérer par série. Chaque tableau est désormais engendré selon un même principe et se trouve lié aux autres : chacun d’eux se présente comme le fragment d’un tout qui le déborde, d’une grille modulaire dont nous ne percevons que les détails.
L’importance de la sérialité à partir de 1972 se retrouve au cœur du processus de création puisque Martin Barré travaille ici littéralement « en série », effectuant simultanément les mêmes opérations sur toutes les toiles d’un ensemble au cours d’une succession de « séances : séance grille, séance hachurage, séance recouvrement ». Un voile blanc est ainsi appliqué sur toute la surface de la toile à la fin des étapes grille et hachurage dans une superposition de transparences rendue possible par l’adoption de la peinture acrylique au séchage rapide.
Marquant un retour à la peinture, et à l’utilisation du pinceau-brosse qui avait été abandonné au profit du tube puis de la bombe pour accéder à une forme d’immédiateté, ces séries des années 1972 à 1977 sont également celles d’un retour à la couleur (délaissée à partir de 1963 au profit du spray noir mat) : d’abord réduite au brun ("72-73"), la gamme chromatique s’étend dans les séries suivantes au bleu, aux ocres, jaune et rouge – ces passages de couleur pouvant rester à l’état de traces sous les voilages de blanc.
Un ensemble de seize tableaux est ainsi donné à voir, dans un accrochage linéaire qui tire profit des différents espaces de la galerie pour suivre la succession méthodique des séries, chacune se déployant dans une salle dédiée : trois tableaux de « 72-73 » ; quatre tableaux de « 73-74» ; six tableaux de « 75-76 » et trois tableaux de la série finale « 76-77 ». Au fil de cinq séries, une par an de 1972 à 1977, – la série « 74-75 » étant la seule à ne pas être présentée ici –, les tableaux montrent une complexité picturale accrue.
L’opposition figure/fond s’estompe. L’espace déterminé par le trait semble souvent se prolonger au-delà de la toile. A la grille tracée au crayon à l’aide d’une règle, s’opposent les grasses zébrures peintes à main levée qui viennent remplir telle ou telle zone. Dans certains tableaux, toutes les zones se trouvent ainsi couvertes (75-76-D-157x145) ; dans d’autres, elles viennent délimiter les contours d’une zone laissée vide qui se propose alors comme figure négative (75-76-A-157x145).
Ce jeu de répétitions et de variations dans l’inscription des hachures se trouve redoublé de l’effet créé par la variation de l’angle formé par la grille avec les côtés du tableau. Un dispositif qui trouve son pendant dans le système qui préside aux choix des formats, de faux-carrés étirés à la verticale dont les dimensions font pour la première fois leur apparition dans le titre des œuvres.
Après le « grand vide » aux accents vertigineux évoqué par Yve-Alain Bois à propos des peintures au tube et des bombages des années 1960, les tableaux des années 1970 nous confrontent à un « trop plein », à une surdétermination tout aussi déroutante pour le spectateur, invité de nouveau à « s’égarer quelque part dans le labyrinthe de la peinture »