De 1972 date une petite sculpture de Ha Chong-Hyun qui, à elle seule, paraît anticiper la suite de son œuvre de peintre. Dans une boite en bois est tendue une corde de chanvre dont quelques brins ayant cédé sous la tension se déploient dans le vide, mettant en danger de rupture le mince reliquat de cordage. L’agencement en est simple à l’extrême, clairement lisible, et fait appel à un matériau banal. Cette image d’une forte pression sur les éléments, mais aussi de leur résistance, semble bien résumer la démarche de l’artiste, annonçant les peintures dotées du titre générique de Conjonction, entamées dès 1974 et qui se poursuivent encore aujourd’hui.
Ha Chong-Hyun s’est engagé dans la voie de l’abstraction dès le début des années soixante, appartenant ainsi à la première génération d’artistes coréens épousant cette direction esthétique. Il a d’abord abordé la toile avec des matières lourdes et une structuration de l’espace pictural proche de l’Informel européen[1]. Ont suivi des peintures toujours abstraites mais tout à fait différentes car organisées à partir de formes géométriques et polychromes au contraire des précédentes et où dominaient des couleurs issues des traditions populaires de son pays.
Au début des années soixante-dix, une courte période voit naître des dispositifs sculpturaux à partir de matériaux « pauvres » dans l’esprit de l’époque : deux piles de papier sont installées côte à côte, l’une constituées de journaux superposés, l’autre de feuilles vierges ; une poutre de bois est associée à une corde tendue entre deux murs. La sculpture que l’on décrivait plus haut appartient à ce moment qui coïncide avec l’association A.G (Avant garde), groupe dont Ha Chong-Hyun était l’un des fondateurs et où il tint un rôle éminent. En citant ces œuvres, on pense forcément à des artistes occidentaux de générations similaires, actifs dans les mêmes années, par exemple ceux regroupés autour de l’Arte Povera, du post Minimalisme, de Supports/Surfaces, qui usent de procédés comparables. On songe aussi au Mono-Ha japonais qui en est contemporain et où on relève quelques similitudes flagrantes[2]. Autant de mouvements qui se déroulent parallèlement, plus ou moins en relation, mais aussi pour certains en pleine indépendance, voire ignorance les uns des autres, et dont la proximité relève en partie de l’air du temps, pour l’art coréen comme ailleurs.
Mais le contexte historique est ici très différent de l’Europe ou des Etats-Unis. Dans ces derniers pays, l’époque est à la contestation étudiante, aux manifestations contre la guerre du Vietnam, aux prolongements de la guerre froide, et à une certaine prospérité économique qui va être bousculée par le premier choc pétrolier. La Corée pour sa part, après avoir subi l’occupation japonaise puis vécu une guerre sanglante avec son voisin du nord, va connaître deux décennies d’un régime dictatorial tout en connaissant une expansion économique spectaculaire. C’est dans cette période difficile pour les intellectuels et les artistes que va pourtant naître un art coréen autonome dont les deux faces opposées, comme les deux côtés d’une pièce de monnaie, coexistent en se tournant le dos : un art figuratif d’expression politique et militante d’une part, un courant abstrait à dominante monochrome de l’autre. Il existe alors une volonté de la part de ces derniers artistes de faire également acte de résistance en retrouvant une identité culturelle fondée sur des traditions tout en étant ouvert à des contacts extérieurs et à la modernité. L’art abstrait contemporain se fonde en Corée sur cette dichotomie.