Depuis une vingtaine d’années, de nombreuses études ont été publiées pour commenter ce que le cinéma devait aux autres arts et ce qu’il leur avait apporté en retour. Cette réflexion comparative commença en fait dès l’invention du cinéma. Des historiens et critiques tels que Ricciotto Canudo dans les années 10, s’inspirèrent de l’histoire de l’art pour faire les premières histoires de cet art « jeune, moderne, libre et sans traditions » ainsi que Fernand Léger le décrivait, se réjouissant d’y trouver là sa force.
L’évidence s’imposa donc précocement que la figuration cinématographique devait beaucoup à cinq cents années d’inventions formelles des peintres, des sculpteurs et des architectes ; cinq cents années qui séparaient le cinéma de l’invention des lois de la perspective. Ainsi, les premiers films réalisés par les frères Lumière et leurs opérateurs entretinrent un air de ressemblance avec les motifs privilégiés par les peintres impressionnistes.
Le fondateur de la Cinémathèque française, Henri Langlois, emprunta le modèle du « musée d’art » pour concevoir sa cinémathèque. Jusqu’à la fin de sa vie, en 1977, il rapprocha les cinéastes des grands peintres de l’histoire de l’art: il comparait Rossellini à Rembrandt, Dovjenko à Cézanne et von Sternberg à Ucello... Il affirma d’ailleurs dans un entretien avec Éric Rohmer que l’art muet était essentiellement un « art plastique ».
Aujourd’hui, la technologie numérique, rend possible la reproduction des films et autorise des rapports inédits entre l’art du film et les autres arts. On peut désormais, chez soi, sur un magnétoscope ou au moyen d’un ordinateur, analyser les films en détail, principe courant dans la critique d’art qui recourt à l’agrandissement photographique pour percevoir les secrets de la conception des œuvres peintes et sculptées. C’est le miracle de la reproduction qui permit cette mise en détail de l’art dont André Malraux fit un commentaire lyrique avec son concept de « Musée imaginaire ». On consulte ainsi chez soi des fragments de films comme on s’arrête sur des détails de tableaux ou de sculptures en feuilletant des livres d’art. Et puis, la même technologie numérique permet désormais d’exposer les films en les faisant rivaliser aux cimaises, avec les images immobiles de la peinture, de la sculpture et de la photographie. Cette technologie a engendré à son tour des œuvres inouïes que le substrat photographique, donc analogique du cinéma, ne pouvait accomplir sinon imaginer. Des formes inconcevables, des profondeurs spatiales crées ex nihilo, des rythmes qui atteignent plus intensément, optiquement et psychologiquement, la perception humaine, sont engendrés par la conception numérique des images.
Pourtant - ironie de l’histoire des techniques - une caméra numérique haute définition retrouve… le Cinématographe Lumière originel : ce dernier réunissait déjà en une machine unique la prise de vue, le développement de la pellicule et la projection. Mais l’histoire du cinéma n’est qu’en apparence celle d’un éternel retour. Ce dernier s’accomplit selon les principes d’une spirale prodigieuse dont la répétition n’est pas un bégaiement mais une incontestable puissance nouvelle de synthèse et de Renaissance au sens où le 14ème siècle de l’histoire humaine moderne en imposa le contenu technologique et humaniste.
Les plasticiens du XXème siècle ont largement emprunté des images à l’histoire du cinéma tout autant qu’à l’histoire des autres arts car les films sont aujourd’hui insérés dans leur bibliothèque – DVD, fichiers numériques, « streaming » consultable sur leur ordinateur portable - parmi les livres qui assurent la mémoire de tous les arts, leur « musée imaginaire ».