Un trip. La peinture de Peybak est un trip. Visuel, pictural, chromatique, temporel. Libre à chacun de faire le voyage, de se laisser embarquer sur les « terres abrakiennes » de ce duo de jeunes artistes iraniens, et de consentir à en prendre plein les yeux. La chose énoncée, le trip peut commencer. Garanti, giratoire, coloré.
À l’origine, il y a Peyman Barabadi et Babak Alebrahim Dehkordi, deux trentenaires qui se rencontrent à l’école d’art de Téhéran en 2000 et décident de transformer leur amitié en aventure esthétique et artistique. Puis vient le désir d’inventer un monde, le leur, creuset de cultures, d’identités et d’histoires plurielles. Ce sera « Abrakan », fruit de longues sessions de peinture à quatre mains, musique (rock) à fond, dans un atelier coupé du monde, en pleine montagne, à une heure de route de la capitale.
Le résultat : une série d’oeuvres intemporelles, toujours de très grands formats, où l’énergie du geste le dispute à la précision du trait, où le même se confond avec l’unique et le chaos avec l’ordre. Les contraires s’attirent irrésistiblement chez Peybak. À croire que leurs toiles sont aimantées. Que nous montrent-ils au juste ? Que voit-on dans cette nouvelle série de peintures et de dessins quasi mescaliniens qui font une nouvelle fois rimer vortex avec sexe, organique avec cosmique, oriental avec occidental ? Est-ce le début ou la fin d’un monde qui s’agite sur la toile et le papier ? L’enfer ou le paradis ? Le centre ou la périphérie ? Les deux à la fois répondent-ils, ou plutôt l’entre-deux, soit « l’éclat du désordre d’Abrakan ».
« Éclat », le mot est lancé. C’est le sous-titre qu’ils ont choisi pour leur deuxième exposition à la galerie Vallois, après « Naissance » en 2015 et après leur participation à l’exposition « Tu dois changer ta vie ! » de Lille3000.
Logique et vérifié : en un an et demi, le monde étrange et vibrionnant de Peybak a de fait gagné en puissance et en clarté. Leurs créatures, répétées jusqu’à l’obsession, ont évolué, quittant la forme embryonnaire pour un stade satyrique plus développé. Les détails se sont précisés, les couleurs se sont étoffées, se mêlant et s’entremêlant sur la toile dans l’attente d’un événement, en suspens.
Leur peinture s’est affinée, intensifiée. Et puis des yeux sont apparus, lumineux et brillants. Les créatures d’« Abrakan » nous regardent les regarder, de l’éclat perçant (persan) de leurs prunelles blanches. Ce n’est pas la seule nouveauté : pour la première fois, le duo Peybak a également réalisé une série de sculptures en bois et en argile, donnant corps et contours à la masse représentée sur la toile. Une série ou plutôt une armée.
Pas moins de cinq cents figurines, grossièrement modelées, moitié-homme moitié-animal, s’entassent sur une plateforme suspendue à mi-hauteur. Dents-coquillages en avant et yeux mi-clos, inoffensifs et menaçants en même temps. Le vertige du nombre est une nouvelle fois assuré. Formellement, on ne peut s’empêcher de penser à la série de sculptures « Soudain cette vue d’ensemble » de Peter Fischli et David Weiss : même matériau, même aspect cocasse, même touche enfantine, sinon primaire.
Peut-être aussi parce qu’à l’instar du duo suisse en 1981, Peybak nous livre avec cette oeuvre le pendant sculptural de leur monde, une première vue d’ensemble. En 2017, « Abrakan » prend du relief et nous fait prendre de la hauteur. Avec « Éclat », les deux amis et artistes iraniens, nés en 1984, poursuivent leur voyage vers les contrées lointaines et inconnues de l’art et de la création. Ils s’éclatent littéralement à déployer leur univers et à lui donner forme et vie. A very good trip.