Pour sa première exposition personnelle à la galerie Christophe Gaillard, Marina Gadonneix présente trois séries dans lesquelles elle photographie des dispositifs existants qu’ils soient liés à la fabrication même de l’image en studio (Après l’Image, Landscapes) ou à la reconstitution de phénomènes physiques (Phénomènes) en laboratoire. Ces photographies documentaires sont prélevées dans des situations où le décor est devenu fonctionnel et entretiennent une relation troublante à la mise en scène. L’exposition Reste eVidence Black-out prend des allures de jeu de piste où la couleur et son codage informatique (à laquelle renvoient les lettres capitales RVB du titre) devient le fil conducteur.
En amorce à la série Après l’Image, la photographie qui reprend la charte colorimétrique color checker x-rite, met justement en avant un outil de calibration lié au numérique. Après l’image présente des dispositifs de prises de vues où les œuvres transitent pour être photographiées et reproduites dans les catalogues de maisons de vente. Si les œuvres d’Alexander Calder, Lynne Cohen ou Hiroshi Sugimoto ont déserté l’image, le regard se porte sur les indices de leur passage : la légende où l’œuvre est mentionnée comme les socles et scotchs noirs. Des correspondances se mettent en place entre ce qu’il reste du dispositif et l’œuvre qui s’y trouvait comme dans la photographie Untitled (Time exposed, Hiroshi Sugimoto), 2014. Une autre charte apparaît.
Elle aura sans doute permis de reproduire avec précision les nuances de gris des portfolios d’Hiroshi Sugimoto : des photographies d’horizons à différentes heures et dans différents lieux qui tirent l’image vers une abstraction et la prise de vue vers une expérience limite. C’est également à une plongée dans la couleur que nous convie Landscapes. Les fonds d’incrustation verts et bleus utilisés au cinéma ou à la télévision sont ici dépouillés de toute présence. Ce théâtre des opérations mis à nu laisse place à de grands monochromes.
Comme dans Après l’Image, des indices du dispositif se révèlent au fur et à mesure de la série (traces de scotchs, socles ou papiers découpés) qui a également donné lieu à la pièce sonore Blackout, une fiction écrite et lue par Marcelline Delbecq. Le terme désigne autant un passage au noir qu’une perte de mémoire momentanée et devient une métaphore de ce temps de latence, de cet interstice où la situation est vidée de sa fonction, de ses protagonistes pour se recharger formellement et convoquer l’abstraction.
L’esthétique scientifique est intimement liée aux origines de l’abstraction. Comme le rappelle Pascal Rousseau « loin de s’arracher au monde des phénomènes, l’abstraction offre sous cet angle une traduction nouvelle du visible, largement tributaire du statut moderne de l’œil dans son étroite relation aux autres sens.» 1 En marge de la série Phénomènes, l’image extraite de l’ouvrage The Forces of Nature: A Popular Study of Physical Phenomena 2 (1872) d’Amédée Guillemin revient sur le spectre de différentes sources lumineuses. Dans cette photographie d’archive extraite d’un chapitre consacré à la lumière, la couleur refait irruption par le biais de l’iconographie scientifique.
Or, c’est précisément au monde physique que s’intéresse Marina Gadonneix dans la série Phénomènes. L’espace du laboratoire est envisagé comme un espace de représentation, de modélisation et de conceptualisation de phénomènes physiques (avalanches, éclairs, météorites, aurores boréales notamment). L’artiste multiplie les points de vues, qu’elle se concentre sur la recréation d’une aurore boréale, qu’elle dévoile un laboratoire où la foudre est reproduite, qu’elle s’intéresse à la modélisation la plus élémentaire d’une étoile ou du système solaire. Le geste qui consiste à modéliser une étoile est aussi précaire qu’un jeu de construction. L’artiste associe d’ailleurs un jeu colorimétrique (rouge vert bleu) à ces modélisations rudimentaires comme pour mieux renvoyer au faire, à la fabrique de l’image. Il se dégage de la série Phénomènes une parenté du laboratoire avec l’atelier de l’artiste ou encore le studio, lieu de la découverte où l’imaginaire et l’expérimentation peuvent donner lieu aux hasards les plus heureux.
Texte de Audrey Illouz