Avec les œuvres de Horacio Garcia-Rossi, Julio Le Parc, François Morellet, Francisco Sobrino, Joël Stein et Jean-Pierre Yvaral.
Des structures programmées aux objets manipulables et transformables, de la sollicitation du spectateur à l’établissement de situations ludiques et récréatives, c’est l’ensemble des stratégies visuelles et participatives du Groupe de Recherche d’Art Visuel (GRAV) qui aura été exploré par Joël Stein (1926-2012), l’un des membres fondateurs du groupe en 1960 avec François Morellet, Jean-Pierre Yvaral, Julio Le Parc, Francisco Sobrino et Horacio Garcia-Rossi.
Au contact de Morellet, Stein avait adopté en 1956 tous les principes d’une abstraction conçue comme organisation plus contrôlée et homogène de la surface, par des opérations systématiques de répétition, de progression et de permutation, affectant à la fois la forme et la couleur. L’idéal est celui de la recherche anonyme et dédaigneuse des mythologies construites autour de la figure de l’artiste en génie solitaire et inspiré — « cette éloquence délirante sur l’artiste et sa personnalité » qui avait accompagné le développement de l’abstraction lyrique. Sur ce terrain, l’entente est parfaite avec quelques artistes sud-américains récemment arrivés à Paris avec un bagage pictural rassemblé à partir des mêmes sources : Max Bill et l’art concret, Victor Vasarely et les prémices de ce qu’il appelle déjà « cinétisme ».
Après la formation du GRAV, Stein oriente ses recherches dans le sens du programme défini en commun : stimulation rétinienne et instabilité visuelle. Il superpose grilles et trames et explore l’effet moiré, réunissant une partie de ses résultats dans l’album Jeux de trames (1962), préfacé par Pierre Schaeffer. Stein est en rapport avec le compositeur dans le cadre d’une autre entreprise collective caractéristique de cette décennie d’expérimentations polymorphes : le Groupe de Recherche Musicale de l’ORTF. Il y réalise des séquences d’images et des génériques pour la télévision, tandis que le cinéaste Henri-Georges
Clouzot lui donne carte blanche, ainsi qu’à son complice Yvaral, pour les effets spéciaux hallucinatoires de L’Enfer (1964, inachevé) et de La Prisonnière (1968).
Comme ses collègues du GRAV, et en phase avec l’utopie participative de l’époque, Stein outrepasse rapidement le champ expérimental de « la relation œuvre-œil » pour inventer des formes d’interaction directe avec le spectateur. Appelé à toucher et à manipuler, ce dernier est désormais confronté à des objets ludiques qu’il lui appartient d’activer : kaléidoscopes et reliefs tapissés de miroirs renvoyant les reflets démultipliés de sphères suspendues, objets et miroirs transformables, appareils à engendrer déformations et anamorphoses… A l’instar du Boulier de 1965, la plupart de ces objets ont figuré dans les fameux Labyrinthes élaborés en plusieurs occasions par les membres du GRAV au fil de leurs années d’activité. Avec ces environnements hautement ludiques et participatifs, le groupe visait l’une de ses plus hautes missions politiques et sociales : l’avénement d’un nouveau public démocratique dans l’euphorie communicative du jeu et du divertissement. Avec Joël Stein en principal théoricien de ce nouvel homo ludens : « Par le jeu, nous arrivons à un engagement total du spectateur adulte ou enfant, ignare ou cultivé, qu’importe, il y a une mise en situation, une relance de l’attention qui ne s’appuie pas sur une préconnaissance, mais sur la surprise, le geste, la provocation. »
L’autodissolution du GRAV à la fin de l’année 1968 accompagne le constat que l’époque a accompli la révolution demandée par les artistes. Stein se met à expérimenter le laser et retourne à ses recherches sur les interactions chromatiques, l’ombre et la lumière, qui prennent des formes dont la variété devra à nouveau être exposée. Alors, les années du GRAV n’apparaîtraient pas seulement comme une parenthèse enchantée mais comme un moment d’une carrière entièrement conduite par la même insatiable curiosité pour les phénomènes de la vision et l’univers perceptif.