À l’occasion du 60ème anniversaire de Yang Jiechang, une exposition intitulée Sur la Terre comme au Ciel se tient à la galerie présentant une vingtaine d’œuvres de l’artiste, issues de différentes périodes de sa création, aussi denses en contenu qu’elles le sont en expression. Yang Jiechang est né en 1956 dans le sud de la Chine où il réside jusqu’en 1978. Il est profondément marqué par la Révolution Culturelle proclamée par Mao Zedong en 1966. Après y avoir participé en tant que garde rouge dans les années 70, l’artiste choisit de s’en éloigner en étudiant assidûment la calligraphie et l’histoire de l’art chinois à l’Académie des Beaux-Arts de Canton où il fait l’apprentissage de la peinture à l’encre. Après avoir acquis une maîtrise considérable de la calligraphie ainsi qu’une fine connaissance de la pensée chinoise traditionnelle, Yang Jiechang décide de s’initier au cours de plusieurs années au Taoïsme et au Bouddhisme
Zen qui se révèlent vitaux pour le développement de son langage formel réduit à l’essentiel. Cette période lui apporte la conviction profonde qu’une « expression traditionnelle » ne dépend pas d’une forme fixe mais est plutôt engendrée par des actions quotidiennes qui évoluent à l’infini. Le réel est sans forme semble être le leitmotiv constant de l’œuvre qu’il a développée au cours des trente dernières années, profondément ancrée dans la vie avec ses expériences accumulées, ses sensations, sa connaissance perpétuellement changeante et mobile au cours des années qui passent; que l’artiste ait recours à la calligraphie, à la peinture sur soie traditionnelle, à la vidéo, la photographie ou la performance, chaque fois renouvelés, son corpus d’œuvres traduit dans son reflet intime les sensations et évènements de sa vie.
L’exposition Sur la Terre comme au Ciel regroupe une vingtaine d’œuvres provenant de différentes périodes de sa création. L’exposition débute avec l’œuvre réalisée pour le diplôme de son concours à l’Académie des Beaux-Arts de Guangzhou en 1982, intitulée Massacre. L’artiste considère que cette œuvre, associée à une seconde œuvre non exposée intitulée Feu marque le début de sa carrière artistique. Son intérêt pour l’histoire, et la souffrance qui y est associée, produisant un effet direct, dense et brut sur le plan esthétique, est déjà notable dans cette œuvre ainsi que dans les œuvres de sa jeunesse. Comme le titre l’annonce, Massacre dépeint dans la technique traditionnelle de l’encre et du lavis, des têtes coupées et déformées par la douleur. À l’opposé de cette œuvre, St-Arbre-Feu Blanc, réalisée dans la technique de la peinture méticuleuse sur soie de style gong-bi, annonce le thème purificateur du feu. L’œuvre réalisée en 2009, 20 ans après que Yang Jiechang ait immigré en Europe, parle tout autant de l’intérêt de l’artiste pour le Taoïsme que son attrait pour le Romantisme, en particulier le romantisme allemand avec sa quête de spiritualité, son amour de la nature et sa recherche de synergie. Dans StArbre-Feu Blanc, le feu blanc est une métaphore de la notion taoïste de la transformation et du changement ainsi que la représentation romantique de la destruction et du mystérieux. Des philosophes comme Karl Heinz Bohrer réfléchissent actuellement sur le mal en tant que catégorie esthétique.
Il part de ce qu’il appelle la « littérature noire du XIXe siècle » où le mal était exprimé pour signifier le beau et arrive à poser la représentation du mal comme moment de prise de conscience. Dans son commentaire du Chat noir de Poe, il affirme que « (…) seule la représentation effroyable et efficace de l’acte mauvais rend évidente la réflexion sur cet acte mauvais et sur son résultat ». La violence ou le terrorisme serait alors un élément constitutif de la revendication et ses vertus auraient un destin expiatoire et un rôle de purification pour accéder enfin à la régénérescence ou à la renaissance. La calligraphie intitulée «I often do bad things», lettre d’amour que Yang Jiechang a envoyée à son épouse Martina en 1987, place le concept du mal comme une énergie créatrice et esthétique mise en mots. Cette œuvre aide l’artiste à transgresser cette «frontière utopienne» en positionnant son œuvre à l’encontre des conventions esthétiques, des obligations idéologiques et du politiquement correct. Le diptyque calligraphié Oh My God/Oh Diu (2002-2005) montre deux panneaux complètement recouverts d’une écriture épaisse noire: un panneau avec l’exclamation Oh my God, l’autre avec l’injure cantonaise Oh Diu. Les vidéos placées à côté l’enregistrent en train d’écrire et montrent ces expressions. Yang a écrit Oh my God/Oh Diu en réaction aux évènements du 11 septembre à New York. .
Parmi les images diffusées en boucle par les médias, une seule et unique image lui est apparue authentique: celle d’un homme courant dans la rue pour échapper à l’effondrement des Twin Towers en hurlant «Oh my God». Ainsi cette œuvre, plutôt que déplorer l’actuelle catastrophe, est une exclamation d’horreur face au mensonge et à la constellation politique l’ayant autorisé. L’œuvre On Ascension-Two Clouds de 2003 est également une œuvre de feu purificateur se référant aux évènements du 11 septembre Lifelines 2 est une peinture à l’encre réalisée en 1999 montrant un groupe d’individus en train de regarder un évènement. Leurs têtes ont l’apparence de crânes. Cette œuvre est inspirée de l’image d’une photographie montrant une foule regardant une exécution dans les rues de Shanghai au début du 20ème siècle. Non loin de cette œuvre monumentale et puissante se trouve un Autoportrait à 40 ans de l’artiste, le montrant nu avec un pénis en érection qui symbolise la pleine énergie créatrice. Les œuvres de l’exposition sont liées aux évènements actuels et expriment la conviction de Yang Jiechang quant au fait que la participation et l’action sont les vecteurs majeurs de la création artistique. Cette position est également évidente dans le coup de pinceau à l’encre de l’artiste de 2010 intitulé Difficult qui peut être compris comme l’expression artistique renforcée de l’artiste sur la situation de notre monde contemporain.
La vidéo Landscape Da Vinci montre l’artiste en train de tirer à l’arc vers la caméra, se positionnant et se repositionnant à l’infini. À chaque tir, l’image est troublée jusqu’à ce qu’elle se clarifie pour être à nouveau floue et clarifiée indéfiniment. Yang Jiechang croit que la participation et l’action de chaque individu peut changer l’état d’un monde pris dans les maillons du jeu de pouvoir puissant de la globalisation. Les œuvres réalisées en peinture de soie méticuleuse intitulées respectivement Je ne veux pas travailler de la série Stranger than Paradise de 2010 tout autant que Mustard Seed Garden de 2013 parlent de ce monde globalisé. Yang Jiechang y met en scène l’intéraction d’animaux de différentes espèces avec des êtres humains dans un paysage paradisiaque. L’étrange communication dérivant de ces couples dépeints est située entre l’étonnement initial de la découverte jusqu’au contact joueur et à l’accouplement heureux.
Les limites, les différences et préjudices semblent être oubliés au profit de l’intéraction égale, de la compassion et de l’amour. Ce panorama pictural est inspiré des canons de la peinture chinoise traditionnelle de paysage et dérive directement du manuel de peinture intitulé Mustard Seed Garden (1679), suggérant un paysage universel et éternel. La vision de Yang Jiechang où la communication impartiale et l’action sont possibles est celle d’un monde globalisé mais un monde néanmoins basé sur les valeurs nouvelles d’égalité, de respect mutuel et de compassion. Cependant l’artiste nous indique que l’égalité, le respect, la compassion, l’amour et l’harmonie sont des relations instables. Une fois que l’équilibre entre le grand et le petit, le fort et le faible, celui qui domine et celui qui subit est compromis, celui-ci se transforme en disparité, en mépris, en indifférence, en haine et en agression. Cette série d’œuvres nous rappelle que malgré le fait que tous les humains sont reliés en une essentielle unité d’existence, l’harmonie est toujours issue d’un jeu de pouvoirs. Sa beauté et son potentiel résident justement dans l’instabilité de l’équilibre qui doit être défini et redéfini à travers chaque acte individuel.
Chez Yang, l’action n’est pas une réaction mais naît de la contemplation. L’Autoportrait à 50 ans - Pavillon Tibétain de 2007 dans lequel Yang Jiechang combine son autoportrait à celui du Dalaï Lama parle de dualité entre le spirituel et le réel. Dans cette œuvre, l’artiste propose la création d’un Pavillon Tibétain, d’une sphère autonome et spirituelle, où l’individu est «libre de toute restriction politique». L’œuvre Magic Wand datant de 1989 faisant partie de la série décennale des Cent couches d’encre tout comme Relics 1 et Relics 3 - Gorintõ datant de 2014 sont les évocations du potentiel sacré placé en l’art tout comme son potentiel de transformation. Dans toutes ses œuvres, qu’elles soient d’une extrême violence ou qu’elles ouvrent vers un espace spirituel, Yang Jiechang nous entraine au-delà du visuel, chacune étant une proposition au dépassement des catégories ou des notions d’identité stériles figées dans le temps. Il invite l’observateur à considérer l’art et la vie avec une force créative ouverte, sujette à des multiples et perpétuelles transformations. Nous ne sommes pas dans des formes picturales faciles qui ne sont que les représentations d’une structure demandant une simple virtuosité picturale ; pour Yang Jiechang, c’est le travail de l’esprit animant ces formes picturales qui est autrement plus complexe et difficile et son œuvre doit être vue comme un acte de sublimation entièrement voué au renouveau et au sacré.