L'un est frangais, l'autre est americain. Celui-ci vit a Paris, celui-la a Los Angeles. Si tous deux sont ferus de dessin, toujours prompts a recouvrir pages de carnets et feuilles de papier, leur euvre s'offre a voir a l'aune d'une production plastique polymorphe qui se developpe volontiers en etendue comme en volume. Quoique Pierre Seinturier (ne en 1988) et Adam Janes (ne en 1976) partagent le meme interet pour toute une iconographie figuree et narrative, ils puisent chacun leur inspiration a des sources differentes - le cinema et l'image imprimee pour le premier, la culture populaire pour le second, tout en croisant un meme goOt pour l'histoire de l'art.
Malgre leur douze ans de difference, quelque chose les rend familiers d'une meme generation, notamment dans leur fagon d'accumulation d'images et de signes, leur propension a vouloir mettre en scene leurs euvres et cette liberte qu'ils s'octroient a mettre le regard a l'epreuve de toutes sortes d'experimentations. Pour toutes ces raisons, qu'elles soient synonymiques ou antinomiques, les reunir dans l'unite d'une meme exposition est l'occasion de mettre en exergue la richesse d'une creation dont le dessin est le vecteur cardinal.
Pour ce qu'il est toujours en amont de toute expression, pour ce qu'il permet toutes formes de declinaisons, pour ce qu'il est tout a la fois le lien et le liant de tous les autres modes. L'exposition de Pierre Seinturier et d'Adam Janes en fait d'autant plus la demonstration que leur presentation respective en forme d'installation tend a vouloir instruire les termes d'un semblant d'euvre d'art total. Congue sur le mode d'un parcours fortement structure a travers chacune de leurs euvres, elle invite le spectateur a la decouverte de deux mondes a part qui l'entrainent chacun a sa maniere vers des territoires decales, riches de reminiscences, de references et de figures plus ou moins familieres. Il y va d'une experience d'immersion dans l'imaginaire de chacun des artistes, tout a la fois sensible et mentale, qui nous interroge, nous fascine ou nous deroute, dans tous les cas qui ne nous laisse pas indemnes.
L'art de Pierre Seinturier est requis par le narratif et le suspens. Les saynetes qu'il imagine mettent en jeu des situations que fonde une culture de l'enigme pour ce qu'elles s'inscrivent ni en amont, ni en aval d'un quelconque continuum. Elles disent un moment arrete, comme on stoppe le deroulement d'un film pour isoler un plan de son contexte et le decouvrir dans la surprise de sa singularite.
Extraites de tout un monde d'images fixes ou animees - films, bandes dessinees, cartes postales, ouvrages divers et varies... -, les euvres de Seinturier croisent aussi les aleas de son quotidien, ses obsessions, ses visions fantasmees, celle notamment d'une Amerique qu'il a peu vue.
C'est tout un theatre de memoire qu'il imagine, s'inventant des histoires, les instruisant dans des paysages a l'atmosphere tendue, les animant de personnages dont on ne sait s'ils sont ou non fictifs, ni qui ils sont vraiment. La fagon qu'il a d'investir l'espace en l'architecturant de differents plans lui permet de jouer en trompe-l'eil et en dedales visuels qui obligent le visiteur a une deambulation active, curieuse, voire fouineuse. En fait, tous les efforts de Pierre Seinturier visent a multiplier les points de vue pour sortir de la bi-dimensionnalite et les experiences plastiques pour operer toujours davantage le mélange entre realite et fiction. Par la, son art releve d'une sorte d'esthetique de la fable.
Aux pratiques conjuguees du collage et de l'assemblage, Adam Janes accorde une place de choix. Ses euvres en declinent l'exercice dans la realisation de travaux qui passent du plan au volume et se donnent a voir comme autant d'icanes qui appartiendraient a une culture marginale. En realite, son art procede de la combinaison entre des elements empruntes a differentes cultures populaires et tout un lot de references classiques.
Quelque chose de singulier et de ludique est a l'euvre dans son travail qui en appelle a un vocabulaire de formes et de signes rudimentaires, immediatement accessibles au regard et qui mole toutes les techniques et tous les formats.
L'artiste prend comme un malin plaisir a fabriquer des objets incongrus et des machines improbables dont les motifs jouent de l'intrication entre imaginaire debride et references autobiographiques. Adam Janes n'a pas son pareil pour orchestrer la collusion entre figuration et abstraction et noyer tout un monde de personnages souvent drolatiques dans le flux de ses images ou dans la construction de ses sculptures. Aussi ses euvres relevent-elles d'une forme de palimpseste dont it ne nous livre aucun dechiffrement et nous nous nous trouvons, face a elles, en position d'explorateur. Articule autour de l'idee de Memory Song, le dispositif qu'il a congu pour cette exposition participe en ce sens a nous entrainer dans les dedales imprevisibles de la memoire.
Ici et la, Pierre Seinturier et Adam Janes nous proposent au bout du compte de faire comme un voyage au ceur meme du monde de leurs images. Aventure, expedition, introspection...
Texte par Philippe Piguet