Sans limite, ainsi se décline et s’écrit le monde d’Henrique Oliveira. Il semble en effet que nul espace ne soit à la mesure de ses utopies. Ses constructions organiques, le plus souvent monumentales, s’offrent ainsi comme de débordantes chimères. Elles affichent pour ainsi dire un trop plein de vie dépassant de loin les contours donnés : murs, cloisons, plafonds cèdent tour à tour à leur passage.
Ainsi à la Galerie GP & N Vallois, en 2011, son installation Desnatureza semblait éclore du sol et tendre dans sa poussée à perforer irrésistiblement le plafond. Comme un liseron, la sculpture dont les racines puisent leur source dans l’imaginaire de l’artiste, rampait jusqu’à grignoter l’espace du White Cube.
Cette exposition intitulée Fissure renoue avec la démarche in situ de l’artiste qui imprime profondément sa marque dans la galerie et la métamorphose en profondeur.
Oliveira, à travers ces tensions, ces forces vitales, donne sans doute à voir l’illusion que la nature reprend ses droits. Triomphante, elle détruit l’urbain. Le béton cède et craquelle sous l’évidence implacable de sa force. Dans cette dynamique offerte au regard, il y a sans doute une dialectique sous-terraine où se rencontrent, dialoguent et se disputent nature et culture, à travers le prisme notamment de l’organique et du bâtit, de l’animé et de l’inanimé. Oliveira fait en tout cas entrer au forceps dans un univers institutionnel une certaine idée de la nature. Un lacis foisonnant, qui peut tout aussi bien se fondre avec ce qu’il rencontre.
Dans son installation Baitogogo au Palais de Tokyo qui affiche une greffe réussie qui a “pris” avec la structure du bâtiment, Oliveira fait se compénétrer poutres saillantes et troncs d’arbres imaginaires. Point de collusion frontale à lire donc entre nature et culture, encore moins un sermon sur la terre meurtrie par la présence humaine. L’artiste semble plutôt dans une recherche formelle sur la façon dont l’homme pose sa main sur le monde qui l’entoure. Les tapumes, fines lamelles de bois utilisé pour les palissades de chantier au Brésil, rappellent peut-être à cet égard comment les êtres façonnent - parfois malhabilement - leurs territoires, habitent la terre dont ils disposent.
Il arrive que “l’épiderme urbain”, expression de l’artiste, grandisse anarchiquement. Alors les villes implosent sous leur poids. Ses oeuvres en trois dimensions ou dessins sur papier, formés de protubérances, d’excroissances sont peut-être en creux un portrait du contexte démographique dans lequel il a grandi.
L’utilisation de matériaux pauvres montre combien Oliveira est fasciné par la construction, l’élaboration de l’espace. Il n’est pas étonnant que l’artiste se soit rendu à la Nouvelle Orléans après la catastrophe de l’ouragan Katrina. Il y avait, dans ces paysages exsangues et dévastés, tout à reconstruire. Un monde à repenser, un lieu dans lequel insuffler à nouveau de la vie. Alors, Henrique Oliveira alla y ramasser des matelas, des coussins, vestiges d’une vie domestique quiète pour les amasser en un magma, difforme, à la pauvreté explicite. Condensation présente ici des matelas ajourés et comme rongés par le vide. Plusieurs années après le marasme, ils affichent encore des plaies ouvertes, comme autant de béances résiduelles et historiques.
Issu d’une série autour de mobilier chiné, le canapé expose quant à lui le passage du temps sur sa peau burinée et salie. On ne peut plus s’y asseoir, s’y reposer. Sa fonction est morte et annihilée. Il est devenu le symbole de l’irréversible accident.
Objets de rebut, éléments naturels, dénuement des matériaux... ses créations entretiennent une relation étroite avec l’Arte Povera. Toutefois, si l’artiste reconnaît volontiers une proximité avec la revendication théorique de ce mouvement, le recours aux matériaux de récupération est davantage un moyen de contraindre les frontières de la sculpture contemporaine et sa relation à l’espace.
Henrique Oliveira invente des formes oniriques traversées par la vie, à la façon dont le démiurge fait naître du réel ex nihilo un univers aux contours fantasmés. Léa Chauvel-Lévy