Pour notre première exposition d’Alain Jacquet -dont nous représentons désormais la succession par l’entremise du Comité Jacquet- à la galerie GP & N Vallois, nous avons décidé de mettre l’accent sur les années 1961-1963. Cette courte période, qui précède la création de l’oeuvre la plus iconique de l’artiste, Le Déjeuner sur l’herbe, est aussi le moment où l’artiste met en place son vocabulaire : allers-retours permanents entre abstraction et narration, exploration de l’Histoire de l’Art, et déjà, recherche de la « trame » qui révèle l’image tout en la brouillant.
En cette occasion, nous montrerons un ensemble d’oeuvres exceptionnelles dont la plupart n’ont plus été vues depuis plus de vingt ans, voire même cinquante ans pour l’extraordinaire installation Construction Game.
Lorsqu’Alain Jacquet, alors âgé d’à peine vingt-cinq ans, inaugure sa première exposition personnelle aux États-Unis chez Alexander Iolas –rencontré par l’entremise de son ami Jean Tinguely-, ce tout jeune artiste a déjà accompli un incroyable travail de renouvellement de la peinture.
Dans la galerie new-yorkaise se déploie un ensemble d’oeuvres de sa dernière série, les « Camouflages », ainsi qu’une immense « fresque », installation composée de 21 tubes de carton de trois mètres de haut enluminés à la gouache et intitulée Construction Game.
Elle vient faire écho aux Cylindres réalisés pour sa toute première exposition en 1961, à la galerie Breteau.
Avec audace, Jacquet avait alors entrepris de revisiter la peinture abstraite en partant d’une posture intellectuelle à la fois drôle, cynique et pourtant réfléchie dont il ne se répartira jamais tout au long de sa carrière. Partant de l’homonymie de son nom et du Jeu de Jacquet, il avait décidé de restreindre sa palette aux six couleurs du prisme, et son répertoire des formes au triangle du plateau de jeu. L’année suivante, sans abandonner ces principes de base, il y ajouta un ingrédient nouveau : l’introduction d’un référent narratif.
En effet, en dépit de leur apparence abstraite, les Images d’Épinal (1962) rappellent par leur titre qu’elles s’inspirent à l’origine de ces petites gravures enluminées et popularisées par les colporteurs au XIXème siècle. Après plusieurs dessins préparatoires permettant de passer de l’image à un ensemble de formes abstraites, le résultat se révélait en de grandes toiles aux couleurs chatoyantes.
“Les Camouflages procèdent directement de cette série : « C’est en 1962 avec les Images d’Épinal que commence l’esprit des Camouflages ». Certaines peintures (qui réemploient le Génie ou le Jonas de Michel-Ange de la Chapelle Sixtine, La Joie de vivre de Matisse, ou les vignettes de Walt Disney, notamment) procèdent encore par juxtaposition des couleurs, à cette notable différence près que la structure et certains détails de ces tableaux de maîtres restent identifiables. Et, comme la palette s’est enrichie de nouveaux tons, l’effet de morcellement de l‘image-source y est manifeste.
Le cliché d’Épinal avait, si l’on peut dire, tous les moyens de disparaître sous les entrelacs colorés ; même s’ils sont devenus de simples illustrations par le moyen de la reproduction photographique, les chefs-d’oeuvre de Michel-Ange ou de Matisse, du Bronzino ou de De Chirico, font de la résistance.”
“Au cours des années cinquante et soixante, la peinture abstraite fait l’objet de multiples stratégies qui cherchent à contourner l’impasse de l’idéalisme qui l’avait suscitée un demi-siècle plus tôt et à lui donner une pertinence nouvelle dans un monde gagné par de toutes autres préoccupations, au premier rang desquelles l’image et la masse — et finalement : la masse des images (…) Échapper à l’académisme sans renier tout à fait le projet moderne, innover sans les secours de l’illusion du progrès ou de la dérision, la marge est étroite pour (se) persuader de la pertinence du genre.” Alain Cueff
Un livre sera édité à l’occasion de l’exposition comprenant des textes critiques de Anne Tronche et Alain Cueff, dont sont issus les extraits ci-dessus, ainsi qu’un avant-propos de Catherine Millet.