La Galerie Alberta Pane est heureuse de présenter la troisième exposition personnelle à la galerie de l’artiste italo-autrichienne Esther Stocker. Une installation inédite sera associée aux nouvelles peintures et sculptures de l’artiste.
Par ailleurs, nous sommes ravis de vous annoncer la récente sortie du dernier catalogue de l’artiste, notamment composé de plusieurs textes rédigés par des auteurs tels que Monika Machnicki, Gunther Oberhollenzer et Karine Tissot dont voici justement ci-dessous un extrait illustrant une des dernières installations d’Esther Stocker au Kunsthalle Palazzo de Liestal en Suisse.
« Je suis fascinée depuis longtemps par l’imprécision de l’exactitude : la règle et la confusion sont pour moi proches l’une de l’autre. Elles constituent même parfois une seule chose », explique Esther Stocker.
Cette « chose » dont parle l’artiste a pris naissance dans son travail de peinture si l’on considère le fil chronologique de l’évolution de son oeuvre. […] Chez Esther Stocker, rien à mettre en relation avec un quelconque spiritualisme, comme c’était le cas chez Mondrian ou Malevich, précurseurs dans l’utilisation du motif de la grille : le trait chez elle est droit, noir ou blanc – en contraste avec le fond –, plus ou moins massif, sans inflexion. Horizontal ou vertical, il se prolonge d’un bord à l’autre du support. Croisant quelques traits de même acabit, plus ou moins larges, il divise avec eux le champ du tableau en aplats uniformes. C’est là la grille sousjacente de tous les travaux d’Esther Stocker. Et il faut insister fortement sur le rôle principal que joue la grille en peinture et dans la peinture de la jeune femme en particulier : celui d’attirer l’attention – avec une certaine vigueur – sur le fait que l’on se trouve devant un objet artificiel, ayant ses caractéristiques propres qui le mettent à part du monde des objets. […] Chez Esther Stocker, la grille résulte techniquement d’une pose au scotch soignée – encore le scotch, utilisé cette fois-ci pour protéger la toile et non pour dessiner le trait comme ça peut être le cas dans ses installations tridimensionnelles – dans un équilibre sensible qui combine la force de la ligne avec un minimum de gestes, concis, réfléchis, mis en oeuvre pour créer un impact visuel puissant.
Dans son déploiement, la grille permet à l’artiste autrichienne de faire éclater les genres : comment serait-il possible de ranger de façon restrictive ses tableaux dans le registre de la peinture ou ses installations dans celui de la sculpture ? Elle qui se dit avant tout peintre a en effet réussi à sortir littéralement du cadre de la toile pour venir dialoguer physiquement avec des bâtiments en tout genre. […] L’espace tridimensionnel est donc devenu depuis longtemps une composante incontournable de ses pièces, dans lesquelles la présence d’une forme ou d’un signe peut s’avérer être aussi importante et puissante que l’absence de forme. Plus complexes qu’ils ne paraissent, ses dispositifs bichromes peuvent véritablement coloniser l’architecture des lieux dans lesquels ils s’exposent. Dans certaines situations, l’artiste interrompt des lignes, les amplifie, déconstruit les formes géométriques mises en place sur les murs, mais également sur les planchers et les plafonds. Le visiteur se trouve ainsi immergé au coeur d’illusions optiques en trois dimensions, dont la seule fonction est de révéler l’espace. […]
Esther Stocker parle volontiers de « bruit visuel ». Celui-ci est produit par exemple par l’intrusion de la diagonale comme une nouvelle dynamique perturbant l’orthogonalité connue de la grille. Plus récemment, dans ses pièces sculpturales, où la grille semble avoir été froissée par le géant Gulliver, le « bruit » est celui qui résulte, dans l’imaginaire, du geste appliqué à la surface peinte dans le creux de la main… ou qui se lit, en résultat, dans la partition musicale des lignes distordues. […]
Quelles que soient les modifications apportées à la grille de base, elles rendent les pièces d’Esther Stocker imparfaites comme des systèmes sans logique. Celles-ci ne sont pas toujours le résultat de quelque chose qui s’ajoute, mais aussi celui de quelque chose qui se soustrait. Elles se présentent ainsi souvent comme des familles manquantes qui disparaîtraient en couches successives. Il faut, par exemple, compter trois couches de carrés blancs qui se sont superposées à la grille du passage Tonspur dans le Museumquartier de Vienne pour laisser, au final, se deviner la trace de filets noirs orthogonaux. Fascinée par les blancs qui constituent des lacunes, des percées ou des silences, l’artiste explique à propos de l’installation pérenne récemment réalisée à Metz – pour le parking Mazelle en face du Centre Pompidou – que « la trame démontre qu’une structure est toujours quelque chose d’autre que la somme des parties. Le caractère illusoire du motif doit réveiller la curiosité de celui qui regarde ». […]
L’artiste a établi dès les années 1990 une forme d’alphabet. Et de cet alphabet initial il ressort dès lors non seulement un véritable vocabulaire, mais une forme de littérature. Ceci est d’autant plus évident dans l’espace, quand le système géométrique se fait moins rigide et que d’autres paramètres sont à prendre en compte, comme la lumière ou la déambulation du regardeur. Cette dernière, dictée par un pas plus ou moins soutenu, permet en effet de vérifier qu’une géométrie spatiale ne peut être aussi stricte que sur une toile puisqu’avec le mouvement elle ne cesse de se déformer, de se superposer, de disparaître, de renaître… au profit d’une imagerie variable.
Karine Tissot