La Galerie Alberta Pane a le plaisir de présenter Politics of the gaze, une exposition de l’artiste écossaise Gayle Chong Kwan, proposée dans les deux espaces de la galerie parisienne. Cette exposition révèle pour la première fois à Paris les oeuvres de deux séries récentes: A pocket full of sand et Cyclops, datant toutes deux de 2024.
A pocket full of sand est un projet qui explore les récits coloniaux à travers le prisme de la géologie. Il met en lumière les connexions historiques et contemporaines qui existent entre l'île Maurice, d'où est originaire le père de l'artiste, et l'île de Wight, située au sud de l’Angleterre. Ces corpus d'oeuvres se composent d'une installation réunissant des photographies, des sculptures, et d'un film avec des images animées. Ces dernières montrent des bâtiments sculptés dans du sable, imitant l’architecture coloniale de l’Île Maurice, tels que Aapravasi Ghat1 ; Adelaide Fort, une structure militaire ; ou encore Vagrant Depot, une prison pour les travailleurs sans domicile.
Sous la forme de grains de sable, des images d’archives des années 40-50 présentent le point de vue de deux jeunes garçons que tout oppose : le premier se trouve dans un film qui promeut le tourisme à l’Île de Wight, le second vit sur l’Île Maurice au moment de la colonisation britannique, révélant ainsi les profondes contradictions de l’histoire.
Le sable brun est le lien entre ces deux îles qui possèdent des similitudes géologiques, et il fait aussi référence à la couleur du sucre de canne de l’Île Maurice, rappelant les conditions de vie des travailleurs des plantations.
La série d'oeuvres Cyclops est une commande de la Fondation Valmont (Venise). Elle nous invite à réfléchir à la visualité, autrement dit ces ‘façons de voir’ le monde qui sont historiquement construites en fonction de plusieurs facteurs tels que notre culture, notre histoire, notre religion, etc. Elle se compose d’un grand triptyque photographique qui fait référence à la rencontre d’Ulysse avec Polyphème, cyclope géant mangeur d’hommes, métaphore d’une vision et d’un esprit limité. On y retrouve des références à la mythologie grecque, des images historiques découpées, mais aussi des images créées via l’intelligence artificielle et la réalité virtuelle. La série comprend également plusieurs sculptures.
La plus importante prend la forme d’un mobile composé de collages peints et imprimés d’yeux de femmes artistes issues de différentes périodes de l’histoire de l’art, dont beaucoup sont peu ou pas connues, par choix de ne pas les ‘voir’. Les autres sculptures en tissu imprimé posent la question de la visualité non humaine et s’inspirent de la légende des Blemnyae ou ‘hommes sans tête’, personnages imaginaires qui avaient le visage au centre du torse et dont le nom latin signifie « regardant depuis le milieu ».
Bien que ses deux corpus d’oeuvres soient issus de contextes et cadres de recherche bien différents, ils partagent des raisonnements sur les conséquences politiques, écologiques et sociales du type de ‘regard’ que chacun d’entre nous porte sur le monde.
Notes
1 Ce site de 1 640m2 situé dans le district de Port Louis est l’endroit où commença la diaspora moderne des travailleurs sous contrat ou « engagés ». En 1834, le gouvernement britannique choisit l’île Maurice pour en faire le premier site de sa « grande expérience », avec l’utilisation de travailleurs libres plutôt que d’esclaves. Entre 1834 et 1920, presque un demi-million de travailleurs sous contrat arriva d’Inde à l’Aapravasi Ghat pour travailler dans les plantations sucrières de l’Île Maurice ou pour être transférés à l’île de la Réunion, ou bien en Australie, en Afrique et dans les Caraïbes.