Patrick Tourneboeuf photographie les hommes à travers ce qu’ils laissent derrière eux. Son travail porte principalement sur la mémoire des lieux et à travers eux des hommes qui les ont habités.
Cette nouvelle série peut s’interpréter dans le travail de Patrick Tourneboeuf comme le pendant plastique de « Nulle Part », travail photographique réalisé dans des stations balnéaires en dehors de la saison estivale, et qui offrait au regard ces rues, aménagements urbains et plages vidés de leurs occupants. Réalisée à partir de photographies vintages, collectées notamment dans les brocantes de ces mêmes lieux de villégiatures en France, en Italie, en Espagne et en Belgique, la série « Blow up », référence au film éponyme d’Antonioni, restitue une époque appartenant à la mémoire collective.
On retrouve ici le travail sur la mémoire des lieux ancrée dans la pratique de Tourneboeuf. Cependant l’approche plastique reste très éloignée de ses autres séries ; il ne fait pas ici oeuvre de photographe mais de plasticien en travaillant sur ces reproductions de photographies collectées au fil du temps. Zoomant, découpant, recadrant, il nous propose ainsi des images qui révèlent et amplifient la trame du papier et de l’impression. Nonobstant le caractère désuet qui se dégage de ces scènes, ce choix esthétique rappelle la nature voyeuriste et intrusive propre aux images pixellisées de google map, aux extraits de vidéos de surveillance ou aux photographies volées des magazines people. L’exposition nous plonge au coeur de ces images, nous sommes happés par la nostalgie et les souvenirs que convoque cette esthétique très connotée. Mais que voyons nous en réalité ? L’agrandissement des images révèle autant qu’il dissout leur contenu. Ces scènes familières, images d’Epinal, font écho à notre mémoire et au processus de construction et de transformation de nos souvenirs.
« Il évoque Les Vacances de monsieur Hulot de Jacques Tati. On pense à Blow Up d’Antonioni. Mais il n’y a pas de meurtre, ni d’ailleurs de filles topless à découvrir dans les agrandissements des cartes postales récupérées par le photographe sur les brocantes. On réalise cependant que, sur ces clichés universels, il existe des individus, vous ou moi peut-être, qui jouent simplement dans le sable, ou se promènent près de la plage, et que l’on est étrangement passé du témoignage (j’y étais) à la reconnaissance (j’y suis). Certes flou et tramé, mais présent. En juxtaposant l’original et le zoom en grand format, au festival Photomed de Sanary-sur-Mer, en mai, Patrick Tourneboeuf tend à nous montrer que « cet aspect plastique nous permet de porter un nouveau regard sur ces images usées par le temps » : « Ces recadrages sont des tranches de vie. »
Paru sur Libération, août 2014