La galerie Almine Rech a le plaisir d’annoncer « Construction / Destruction », une exposition collective réunissant les oeuvres de six artistes internationaux actifs entre les années 1960 et aujourd’hui. Issus de trajectoires contemporaines divergentes, prenant leur source de par le monde, ces travaux envisagent les notions de destruction, de construction et de transformation comme moteurs d’un renouveau au moyen duquel ils tentent de définir les liens de rapprochement, ou de distanciation, qu’ils entretiennent avec leur propre passé culturel. La tendance destructive joue un rôle central dans l’histoire de l’art moderne et contemporain. Toutefois, présentés ici, ces actes ne sont pas plus violents que transformatifs ; ils cherchent à développer des relations visuelles et spatiales ou à construire plusieurs niveaux d’expériences, lesquels impliquent l’artiste et le matériau aussi bien que l’intervention du visiteur.
Les pièces de Joel Shapiro et de Fernanda Gomes créent, à partir de formes et de significations, des paysages nouveaux et mettent l’accent sur une expérience phénoménologique de l’espace. Domiciliée à Rio de Janeiro, Fernanda Gomes produit une oeuvre issue de la tradition du Constructivisme brésilien et du Néo-concret. Créées in situ, ses installations témoignent d’une réflexion sur le processus de découverte, d’assimilation et d’appropriation. L’artiste, dont la démarche esthétique se caractérise par un minimalisme austère, recueille les objets dont le monde ne veut plus – fils de coton, clous, bouts de bois, sacs plastiques, câbles ou pinceaux – qu’elle peint pour la plupart en blanc. Chorégraphie d’interventions à peine visibles sur les murs et dans l’espace physique de la galerie, son travail demande un sens aigu de l’observation à qui veut déceler sa traduction poétique de ces fragments du monde. « Je suis attirée par l’état des choses qui sont sur le point de disparaître », explique-t-elle, « leur densité semble étrangement en décalage avec leur matérialité, si précaire ».
De manière comparable, le sculpteur américain Joel Shapiro présente des sculptures miniatures inédites qui, malgré leur échelle modeste, s’imposent par une assurance inébranlable. Elles sont éparpillées et fixées sur le sol de la galerie, sans socle. Dans cette nouvelle série, Joel Shapiro construit des maquettes de maison en bois qu’il brûle avant d’en mouler les vestiges dans le bronze. Chez lui, l’échelle évoque une vulnérabilité extrême, mais tient aussi froidement à distance. Il revisite ici le motif de « la maison », un thème qui dominait alors son oeuvre, au début de sa carrière. Joel Shapiro se fait connaître entre les années 60 et 70 alors que, dans le sillage de l’art minimal et conceptuel, il développe une iconographie inspirée tout autant de la mémoire privée, que de la quête d’un renouvellement formel. C’est donc à une expérience physique immédiate empreinte de psychologie qu’appellent les sculptures de l’artiste, simultanément imprégnées d’associations personnelles et évocatrices d’une quotidienneté universelle.
Par ses actes de destruction en série, le jeune artiste new yorkais Adam Marnie questionne non seulement les limites de la sculpture mais étudie également l’esthétique de l’espace architectural, pour mieux la subvertir. Son travail retrace l’influence du minimalisme qu’il accepte et critique conjointement, de façon très physique. L’oeuvre « Locus Rubric », (2011) s’approprie des matériaux de construction à l’instar de ces plaques de plâtre avec lesquelles l’artiste réalise des formes cubiques percées de deux trous de la taille d’un poing. Comme pour saisir l’immédiateté de l’impact, la sculpture, enchâssée, est exposée dans un cadre qui récolte les gravats au fur et à mesure de leur chute. Le visiteur attentif découvre toutefois que ces fissures ne sont rien d’autre qu’une série de gestes construits et prédéterminés, créateurs de tension, entre artifices et présentations concrètes de la violence.
Bien que Jannis Kounellis et Kishio Suga aient développé leur pratique à part, chacun dans un contexte national d’après-guerre spécifique, leurs pièces partagent une approche similaire du matériel et du processus, dans laquelle l’oeuvre s’articule tel un théâtre d’imprévus, ouvert à la possibilité de la fragmentation et des états éphémères. L’artiste japonais Kishio Suga est une figure de proue du Mono Ha (École de Choses), mouvement qui se concentre sur le lien étroit entre la nature fondamentale des objets et les espaces au sein desquels ces derniers existent. Dans une série d’assemblages muraux ici présentés, Kishio Suga se sert de matériaux naturels et industriels pour créer des pièces intimes à l’énergie improvisée, reflets de l’acte physique qui est à leur origine. De même, les sculptures de Jannis Kounellis – l’un des pionniers du mouvement italien de l’Arte Povera – peuvent se définir par la juxtaposition d’objets et de matériaux possiblement antithétiques les uns aux autres sur les plans physique et culturel. Les objets ordinaires renferment une franchise et une immédiateté pour cet artiste, dont l’objectif consiste à réunir art et expériences vécues du quotidien.
Le travail du Vénézuélien Arturo Herrera est, quant à lui, ancré dans la pratique du collage. Par l’emploi d’objets ordinaires imprimés qu’il intègre à son vocabulaire visuel, il agence des fragments disloqués de l’imagerie populaire et crée ainsi des compositions abstraites qui puisent dans notre inconscient collectif et dans notre mémoire culturelle. Dans une série récente d’oeuvres « Untitled », Arturo Herrera utilise des livres dénichés sur divers marchés aux puces berlinois. Première incursion de l’artiste dans le monde de la peinture, les ouvrages déconstruisent la notion même de plan pictural puisqu’il s’en sert comme de toiles. Lorsqu’il trempe les livres dans la peinture, les pages se collent entre elles et emmurent leur contenu cependant que leur forme d’origine disparaît. Alors qu’il continue de renverser de la peinture sur leur surface, Arturo Herrera transforme les différents livres abandonnés en des tableauxobjets intimistes dont les couches superposées invoquent le processus du collage et créent des formes graphiques singulières.