L’exposition est née d’une invitation, posée comme un défi, à penser une exposition à partir de quelques artistes que la galerie kamel mennour souhaitait réunir. La conversation qui est née de cette question nous a permis de mettre à jour la résurgence contemporaine d’une stratégie fondatrice de l’art moderne. Celle d’utiliser ‘tel quel’ - pour de vrai - des matériaux usuels dans l’espace pictural. De la simple planche de bois chez Hominal aux champignons de Mathieu Malouf, des instruments de musique de Valentin Carron aux débris d’Alex Hubbard, des accessoires SM de Jutta Koether aux tissus de Sergej Jensen, le geste se retrouve, au-delà des divergences fondamentales de leurs projets esthétiques. Que les matériaux soient utilisés comme matière picturale chez Jensen ou Hominal, ou renvoient au réel de manière plus explicite comme c’est le cas pour Alex Hubbard et Jutta Koether, ils jouent un rôle également générateur de formes et de sens. Par texture ou par volume, ils introduisent une hétérogénéité qui permet de renouveler les possibilités picturales en même temps qu’ils viennent briser la distinction entre l’abstraction et la figuration, le réel et sa représentation. Ces matériaux sont aussi systématiquement associés à une dimension ludique, parfois humoristique. Leur origine modeste, la littéralité de leur présence, leur banalité intrinsèque viennent empêcher toute transcendance et mettent en cause l’autonomie du tableau en l’inscrivant dans le quotidien et le trivial.
Il est symptomatique que ce type de geste refasse surface chez de nombreux artistes contemporains1 au moment même où la peinture, et plus particulièrement la peinture abstraite, règne en maître sur la scène de l’art. C’est dans un contexte esthétique dominé par les derniers feux de l’impressionnisme et la naissance de l’abstraction que Picasso, Braque et Kurt Schwitters introduisent des objets usuels dans l’espace pictural pour y déployer un ensemble d’effets ludiques et conceptuels qui leur permettent de le réinventer. De même, dans les années 50, c’est en réaction à la domination et à l’essoufflement de la seconde École de Paris et de l’Expressionisme Abstrait que les Nouveaux Réalistes en France et Rauschenberg et Jasper Johns aux États-Unis font à nouveau appel à l’objet pour détourner la peinture de son épuisement formel et de son emphase existentielle.
Ces trois moments de l’art se caractérisent par la manière dont les artistes qui utilisent cette stratégie du « pour de vrai » n’abandonnent pas le terrain de la peinture mais au contraire exploitent ces matériaux pour les opportunités formelles qu’ils leur offrent sans jamais complètement basculer ni du côté de l’idée ni du côté du pop. À travers trois moments d’un geste, et ses variations, l’exposition cherche à faire percevoir comment en peinture, l’humour peut être formel et l’invention subversive.
Anne Pontégnie
Notes
1 En plus des artistes présentés dans l’exposition, je pense aussi à Nina Beier, Valentina Liernur, Neïl Beloufa, Laura Owens, ou George Henry Longly