Du 7 mars au 30 mai, Le 116 - Centre d'art contemporain de Montreuil présente « Production Site », une exposition évolutive de Heidi Wood. À cette occasion, l'artiste intervient in situ dans l'ensemble des salles d'exposition. Elle y installe son atelier, transformant ainsi Le 116 en ouvroir artistique.
Leila de Lagausie: Ce nouveau projet s'inscrit dans la continuité de votre travail sur le thème de la «banlieue». En quoi ce thème est-il central dans votre démarche artistique ? De quelle manière prend-t-il un sens particulier dons le contexte du 116 ?
Heidi Wood: Pour moi, australienne, la banlieue a toujours eu une image résidentielle, calme, voire ennuyeuse. Je suis donc étonnée que l'on stigmatise un cadre de vie que j'ai toujours cru universel. On y voit le terreau des troubles sociaux. Le grand ensemble devient symbole d'incivilités; or, il a été conçu comme une nouvelle façon de vivre ensemble : abordable, rationnel, sociable. L'utopie est devenue dystopie, du moins dans l'imaginaire national.
Mon intérêt pour les retombées du modernisme est doublé d'un intérêt pour les ressorts de la pro-motion touristique. Je conçois mes expositions comme des syndicats d'initiatives pour un lieu choisi. Ici, je vais sonder le paysage urbain de Montreuil pour en vanter les qualités. Je cherche à décanter l'essentiel pour le valoriser. Cette fois, je vais travailler sur l'identité visuelle de cette banlieue en relation avec les gens qui y habitent. Je pose ainsi la question de la porosité entre le centre d'art et son contexte social.
Effectivement, pour cette exposition, vous avez choisi de faire de l'une des salles du 116 votre atelier. Que recherchez-vous dans cette confrontation directe avec le public ?
C'est un clin d'oeil malicieux à la demande faite aux artistes par les politiques d'être les médiateurs de leur pratique. J'envisage cette expérience comme une suite de mon exposition «Date limite de consommation» fin 2008 à la Galerie Anne Barrault. J'ai annoncé alors que mes tableaux seraient détruits au bout de cinq ans s'ils n'avaient pas trouvé acquéreur. L'exposition, était évolutive et, proposait des nouvelles mises en scène de mes œuvres chaque semaine. Je soulignais le goût dévorant pour la nouveauté du marché de l'art, au moment même où une modification radicale du contexte se mettait en branle. En effet, c'était le trimestre qui marquait le plus fort recul économique depuis les années 30.
Depuis, l'argent public pour soutenir la production artistique s'est raréfié. Du ministère de la culture aux municipalités, on exige de plus en plus la présence de l'artiste, pour dialoguer et expliquer sa démarche, mais aussi pour mettre un baume social aux situations de détresse liée à la crise. Je ne suis pas hostile à cela. En revanche, je pense que l'on peut légitimement se demander comment cela modifie les oeuvres. Je propose de me soumettre à cet exercice pour y donner un début de réponse. Que produis-je quand je joue le rôle de prestataire social de la Ville de Montreuil ?
«Production Site » prend place dans un contexte particulier, puisqu'il s'agit pour Marlene Rigler de sa dernière exposition en tant que directrice du 116. Quel est votre regard sur cette situation ? Qu'est-ce que cela implique vis-à-vis de votre exposition ?
La municipalité a choisi de ne pas renouveler le contrat de la directrice artistique, qui porte depuis 18 mois seulement un projet ambitieux, ouvert à l'international et fortement axé sur la médiation avec le public de Montreuil. L'élue à la culture annonce un recadrage en faveur des artistes et des enjeux locaux. Je trouve que c'est déplorable. Je me trouve donc dons une situation étrange d'être l'exposition de transition vers un projet réduit. J'espère que «Production Site» peut être l'oc-casion d'un bilan du travail réalisé au 116 et provoquer un débat sur la relation entre l'expression artistique et les enjeux politiques de son financement.