Inspirée par la phrase du critique d’art américain Peter Schjeldahl: « Modern art history has ceased to represent a road traveled, and has come to seem an encircling panorama*.», l’exposition rassemble des peintures (paysages, portraits et formes) d’une vingtaine d’artistes de générations différentes, de Bridget Riley à Christian Rosa. L’engagement artistique des uns et des autres renvoie à des époques où le choix d’une discipline – les arts visuels – n’est porteur ni des mêmes promesses ni des mêmes contingences.
Si Peter Schejldahl dressa ce constat en 1981 (dans le premier article qu’il publia dans The Village Voice, le 7 janvier 1981 – il y décrit ce qui lui semble être une situation nouvelle de l’art : un usage postmoderniste de l’histoire, les conséquences d’une économie qui multiplie les fortunes –) il prend aujourd’hui une signification plus radicale encore. Le voyage initiatique complexe qui conduisait à la connaissance de l’art, autant que la route faite de ruptures tracée par les avant-gardes, semble en effet avoir laissé place à un panorama à 360° offrant un accès simultané et immédiat a la quasi totalité de la production artistique et de son histoire. Aux nouvelles générations, l’art des dernières décennies peut se présenter comme un tumblr, une vue panoramique aux vertus décomplexées d’entertainment. Cette « vue » rappelle les panoramas populaires au XIXème siècle – d’imposantes constructions en forme de rotondes dont l’intérieur était peint d’un trompe l’oeil continu qui racontait un moment d’histoire – dont plusieurs furent construits à Paris, entre 1799 et 1805, boulevard Montmartre.
« The Shell (Landscapes, Portraits & Shapes), a show by Eric Troncy » met en scène un panorama actuel possible. Aux différences fondamentales qui caractérisent l’exercice de l’art et son appréhension depuis quelques décennies, l’exposition oppose la permanence d’un medium : la peinture, dont les images échangées sur Internet, Instagram, Facebook, Twitter, circulent désormais à profusion et instantanément, libérées de perspectives, d’évaluation, d’analyse. Les tableaux exposés traversent sans ordre ni hiérarchie générations et styles disparates, formant un panorama sans chronologie, « à la Google ». Avec cette différence substantielle : il ne s’agit pas ici d’images mais de tableaux. Chacun raconte un moment de ce panorama, un souvenir de cette route. Les rayures recommencées toute une vie durant par Bridget Riley, les tableaux érotiques de Betty Tompkins, confisqués par les douanes lors de leur exposition à Paris au début des années 70 aujourd’hui banalisés par les images pornographiques des tumblr, les visages et les fleurs d’Alex Katz qui ont traversé les époques, les peintures figuratives de John Currin ayant rencontré une farouche hostilité il y a 20 ans, les peintures aujourd’hui faites sur iPad par David Hockney dont l’oeuvre précéda toujours son époque… rencontrent ici les peintures d’artistes beaucoup plus jeunes comme celles de générations intermédiaires, formant des correspondances (les tableaux de Julian Schnabel des années 90 éclairant accidentellement ceux de Joe Bradley, les portraits de Alex Katz ceux de Brian Calvin).
Qu’ils relèvent d’une conception indexée sur une histoire de l’art qui prendrait la forme d’une route ou d’un panorama, chaque tableau raconte quelque chose de l’histoire de la peinture – et dans leur ensemble, assurément, quelque chose d’aujourd’hui.
« De cet univers ancien, nous sommes passés à un autre, plus jeune que le nôtre, du moins par les années. » (Virginia Woolf, Journal intégral, 18 janvier 1918).
Eric Troncy