Richard Jackson est l’une des figures majeures de l’art contemporain américain depuis les années 70. Influencé par l’Expressionisme abstrait et l’Action Painting, Richard Jackson a toujours cherché à explorer la dimension performative de la peinture et à en étendre ses potentialités, en renversant notamment ses conventions techniques. La peinture n’est pas, pour l’artiste, un outil créant une image représentationnelle, mais est utilisée comme un liquide omniprésent qui gicle, jaillit, éclabousse la surface de ses sculptures et installations.
À l’occasion de Dark Rooms, sa quatrième exposition personnelle à la Galerie, l’artiste transforme tout l’espace en une chambre noire, écrin à ses oeuvres les plus récentes. Au contraire des deux dernières expositions qui étaient centrées sur des installations monumentales (la Dining Room et le Cra-Z Boy, aujourd’hui dans les collections du FNAC) - et bien que l’on retrouve une Dark Room qui envahisse entièrement l’espace du Project Room - le nouveau projet de Jackson présente un ensemble inédit de sculptures de format plus « familial », mais non moins « envahissantes » par leur sujet et leur force plastique, empruntant de multiples référents à la culture populaire américaine.
Avec la Bobble Head, dont une des éditions était présentée sur notre stand à la FIAC comme un « avant-goût », Richard Jackson s’attaque, avec esprit et humour, au mythe du génie artistique et à la figure de l’artiste comme symbole contemporain de la culture. Dans cet autoportrait, il se parodie sous les traits d’une figurine dont la tête (revêtue de sa casquette signature) dodeline comme ces gadgets kitsch pour plage arrière de voiture. Démesurément agrandie sur un corps particulièrement frêle, sa tête boudeuse évoque l’humour pince-sans-rire d’un Buster Keaton.
En regard de cette sculpture, l’artiste se présente cette fois sous un masque de peinture noire ; Washing Machine(2014) rejoue également avec humour l’exercice de l’autoportrait, sous les traits d’un acteur grimé de maquillage blackface. Placé sur une machine à laver (qui lave plus blanc que blanc ?!), le gigantesque portrait de l’artiste stigmatise ce maquillage traditionnel du théâtre populaire, que l’on retrouve des minstrels shows du 19ème siècle aux films muets, dans lesquels les acteurs blancs noircissaient leur peau à la suie. Plus loin, blackface et smileyface sont associés dans un diptyque ; les deux figures présentent les deux faces d’un même personnage.
Arborant ce même masque, Don King Head (2013) dresse un portrait burlesque du sulfureux promoteur de boxe professionnelle qui organisa notamment le mythique combat The Rumble in the jungle entre Mohammed Ali (aka Cassius Clay) et George Foreman au Zaïre. Posé sur un compresseur et déjà éclaboussé de peinture, le portrait de Don King est associé à la figure du clown, soulignant l’aspect grotesque du personnage à la coiffure hérissée. Le motif de la boxe est également développé avec Boxing Gloves, une paire de gants de boxe qui, de manière tendancieuse, prend vie dans le corps d’une fillette aux sabots, elle aussi maculée de peinture.
L’exposition recèle encore d’autres surprises, à l’instar de la sculpture Deer and Skeleton, où un squelette étrangle un daim, et qui n’est pas sans rappeler l’univers cartoonesque de Tex Avery. Richard Jackson puise dans les racines du divertissement populaire américain et fait revivre un certain âge d’or hollywoodien né avec l’avènement du cinéma parlant (l’acteur Al Johnson apparaît en 1927 sous un masque blackface dans le premier film parlant, Le Chanteur de jazz), et la naissance du Technicolor qui donna ses premières couleurs au cinéma américain.
Cette ambiance cinématographique est accentuée par la Wall Painting inédite qui se déploie sur les murs noirs de la galerie et qui vient encore mettre en relief l’humour corrosif des oeuvres présentées.
Enfin, l’espace du Project Room, repeint quant à lui en rouge du sol au plafond, est consacré à la Dark Room, qui se présente comme une gigantesque boîte, réminiscence de la chambre noire. Cet espace cubique (avec son propre sol à damiers noir et blanc, entièrement noir et éclairé de lumière rouge) est clos, évoquant la pièce utilisée pour le développement photographique tout autant qu’un décor de cinéma (grâce à un système de rails, la boîte tourne d’ailleurs sur elle-même). À la suite d’une action performative unique, l’« activation » de l’oeuvre, équipée d’un réseau de tubes et de tuyaux, provoque des éruptions de peinture qui immergent l’oeuvre et son environnement.
Richard Jackson est né en 1939 à Sacramento, Californie. Il obtient une reconnaissance internationale grâce à la présentation de ses installations à la Menil Collection de Houston en 1988, suivi de l’exposition Helter Skelter au Los Angeles Museum of Contemporary Art en 1992. Son travail a depuis été présenté dans de nombreuses expositions collectives, parmi lesquelles la 48ème Biennale de Venise en 1999, la Biennale de Lyon (commissariat : Harald Szeemann) en 1997, Iconoclash (2002) au ZKM, Karlsruhe, Dionysiac (2005) au Centre Pompidou, et Collection on Display (2014) au Migros Museum für Gegenwartskunst, Zürich. Son dernier projet personnel CAR WASH a été exposé au CAB Art Center à Bruxelles en septembre 2014.
Une exceptionnelle rétrospective itinérante Ain’t Painting a Pain a été présentée en trois volets à l’Orange County Museum of Art, Newport Beach en 2013, puis au Museum Villa Stuck, Münich, pour se conclure cet été au S.M.A.K. de Gand en 2014. Elle a été accompagnée d’un catalogue de référence, avec des textes de Philippe Van Cauteren, Dennis Szakacs, John C. Welchman, Michael Darling, Jeffrey Weiss et Hans Ulrich Obrist.