Une conversation entre Luciana Lamothe et Alberta Pane.
A.P. : Parlons de ta prochaine exposition à la galerie Alberta Pane, en quoi consiste l’installation que tu
veux réaliser? L.L.: Une des sculptures que je vais réaliser est une passerelle que l’on peut traverser. La zone de passage de cette sculpture est composée par une structure de bois mise en tension par des tubes en métal, matériel qui crée une tension en générant des structures qui oscillent entre le dessin symétrique et rythmique et le danger de la traverser. L’autre est un banc crée à partir de la même logique de construction, l’acte de s’asseoir devient une réflexion sur la forme et le matériau.
Une des composantes de mon travail est de réaliser une sorte de déplacement entre la fonction et la forme ou entre la fonction et son contexte et en même temps garantissant l’efficacité de cette dernière. Comme par exemple un objet qui est utilisé pour sa fonction mais dans un contexte dans lequel on n’a pas l’habitude de le voir utilisé. Ou comme par exemple une sculpture qui est utilisée pour perforer les murs d’un espace d’exposition (Función, 2011, Galerie Ruth Benzacar) mais qui en même temps en fait partie!
Dans cette exposition le déplacement se réalise quand la forme pure d’un dessin, où certains paramètres se répètent, comme le rythme et l’harmonie, se transforme en une fonction, comme ici marcher ou s’assoir.
Quelle est alors la relation entre la forme et la fonction dans tes œuvres et dans celle-ci en
particulier ? En Architecture, il existe un principe incontournable selon lequel « La forme suit la fonction », qui veut dire que la fonction et la forme dépendent et s’appuient l’une sur l’autre et d’autre part, que l’architecture doit toujours garantir l’efficacité de la fonction.
Tout bâtiment issu du déconstructivisme, malgré un chaos apparent, doit satisfaire à tous les aspects fonctionnels, utilisant le minimum de ressources possibles.
Au début, le lieu peut être composé de salles et de couloirs vides, afin d'obtenir une bonne circulation, et puis peu à peu on ajoute des éléments et on intègre une complexité formelle.
Dans le cas de mes sculptures, la complexité formelle exprime la fonction, le simple fait de marcher devient ainsi un acte complexe.
Concernant tes dernières expositions, comment exprimes tu ce concept et quel est le rôle du
matériau dans tes œuvres? Dans la dernière exposition que j’ai réalisée à la galerie Ruth Benzacar, j’ai présenté un long parcours fait de planches en bois suspendues sur une structure de tubes. En les traversant, les planches fléchissaient sous le poids du corps et de cette façon chacun pouvait tester la résistance du matériau. C’est en quelque sorte un acte de foi, tout le monde devait faire confiance au matériau.
Dans ce cas, comme dans tant d’autres, je me suis intéressée à l’ambivalence des matériaux en termes de résistance et de ductilité. Les matériaux avec lesquels je travaille appartiennent au monde de la construction, ils sont solides, résistants et durables, mais en enlevant la pression physique, ils peuvent devenir souples et élastiques.
Par rapport à la première exposition à la galerie, quelles sont les différences ? Qu’en est-il des
visiteurs de l’exposition? Interagissent-ils avec tes œuvres? L.L.: Lors de ma première exposition à la galerie Alberta Pane, ma proposition, était aussi une réflexion sur l’architecture, la fonction et les matériaux. En particulier sur l’ambiguïté du ciment, en raison de ses deux états opposés, de la phase liquide à la phase solide. La poudre de ciment se transforme en une pâte humide et malléable, puis se transforme en une masse dure et sèche. Et c’est justement quand il durcit qu’il peut jouer son rôle dans l’architecture.
Dans l’installation à la galerie, le spectateur a eu l’opportunité de voir le ciment dans ses deux états, liquide et solide. Le passage d’un état à un autre dépendait de la participation du spectateur, censé apporter son propre matériau humide (salive), nécessaire à la combinaison des deux. Une fois de plus, le corps teste personnellement et directement les différentes possibilités du matériau.
Quand tu parles de déconstructivisme à quel architecte en particulier fais-tu référence ?
Je pense au déconstructivisme en général, mais je pourrais aussi citer Franck Gehry et le Musée de Bilbao comme un exemple paradigmatique, où l’on retrouve une complexité formelle dans toutes les zones du musée et où la circulation n’est pas interrompue, c’est à dire que les salles et les couloirs sont facilement accessibles. Il s’agit d’une architecture qui fonctionne par ajouts: une fois que la fonctionnalité est garantie, on réfléchit à une complexité formelle, pour revenir ensuite à la fonction.
Ce que je veux souligner est que l’architecture doit toujours privilégier la fonction et ne peut en aucun cas échapper à cela.
L’idée de cette exposition est de me situer dans la position selon laquelle le même projet, géométrique dans ce cas, né à partir de lignes et des sollicitations des matériaux, se propose d’un coté comme contemplation pure et d’un autre coté sous un aspect fonctionnel.
Dans l’exposition «Prueba de tensión» réalisée en mai dernier à la galerie Ruth Benzacar, le bois suspendu dans l’air se tord sous le poids du corps jusqu’à la limite de son potentiel, tous les morceaux de bois sont en tension pour après se détendre, en transformant le plan en volumes, rendant ainsi l’espace plus complexe.
D’autre part, je suis aussi très intéressée par les matériaux appartenant au monde de la construction, car ils sont utilisés comme des pièces modulaires et ils me permettent de générer des formes modulaires et des variantes d’une même idée. Leur caractère provisoire permet de monter et de démonter assez vite. La variation est une caractéristique intrinsèque de ces matériaux.
Comment pourrait-on inscrire ton travail dans la scène de l’art contemporain en Argentine ?
À partir de la crise de 2001 beaucoup d’artistes de ma génération et moi-même avons commencé à travailler autour d’un contexte et pas nécessairement sur un sujet spécifique, plus clairement leur réflexion s’est déplacée de l’atelier à la rue ou directement dans l’espace d’exposition.
Les matériaux, la fragilité, la consommation, la crise des institutions ont été les axes autour desquels on a bougé.
Au fil des ans, chacun a mûri et a développé son propre travail avec des langages très personnels.
Quels sont les liens entre tes sculptures, tes dessins, tes performances et tes actions ?
Tout mon travail est lié à l’idée de l’action et de la sculpture. Réaliser une sculpture est une action, regarder une sculpture est une action. Un élément suspendu dans l’espace est une action potentielle.
Les actions dans mes vidéos font très souvent référence à la sculpture et aux matériaux. Mes sculptures impliquent très souvent une action ou un mouvement. De cette façon je mets en évidence un mécanisme, un fonctionnement, une logique de pensée ou de comportement de n’importe quel matériel.
Le temps devient ainsi un facteur décisif dans mon travail.
Quels sont tes prochains projets?
Mon prochain projet est une intervention sculpturale dans un espace public de la ville de Buenos Aires. Il s’agit d’une grande sculpture située au carrefour de deux avenues très fréquentées. Les gens peuvent monter sur la sculpture et se retrouver sur une passerelle penchant vers la rue. Le spectateur peut ressentir le vertige de la hauteur et l’inclinaison de la sculpture.
Qu’attends-tu de l’exposition à Paris ?
J’espère qu’elle va te plaire.