Pour sa troisième exposition personnelle à la galerie RX&SLAG Paris, Tamara Kostianovsky expose un ensemble d'œuvres dont certaines créées lors de sa résidence artistique, dans l’ancien atelier de Chaïm Soutine à la Cité Falguière en 2024.
Le titre de l’exposition À fleur de peau n’est pas anodin. Il renvoie à une expression française qui suggère quelque chose de latent qui laisse place à des émotions si intenses qu’elles semblent presque à la surface de la peau, prêtent à éclore ou à se manifester au moindre contact. C’est à travers cette évocation que l’artiste vous invite à découvrir ses œuvres. L’exposition commence par une œuvre imposante et saisissante : un oiseau mort, pendu par les pattes, pivotant lentement sur lui-même. Par cette création, T. Kostianovsky rend un hommage direct aux oiseaux morts du peintre expressionniste C. Soutine.
Cet animal n’est pas choisi au hasard, c’est un vautour spécialisé dans l'élimination des cadavres. Cependant, il est ici pris à son propre piège. Dépossédé de sa fonction naturelle, il devient lui-même une victime éliminée par l’homme. Mais cet oiseau porte également une symbolique plus profonde. Avec ses ailes écartées, il évoque l’iconographie chrétienne du sacrifice ultime : la crucifixion. L’artiste s’intéresse aux riches variations iconographiques de cette religion. Elle invite le spectateur à réfléchir sur les notions de la mort animale et du concept du sacrifice. Dans cette œuvre, le vautour remplace le corps du christ. Cette substitution interroge, peut-on y voir une forme d’espoir ? Un symbole de rédemption dans la mort même de l’animal ?
Tout au long de l’exposition, des panneaux dévoilent des oiseaux multicolores d’où se dégage une énergie captivante. A l’opposé du vautour, ces œuvres célèbrent la vie vibrante et exaltée. Pour réaliser ces panneaux, l’artiste puise dans une inspiration profonde liée au colonialisme. Elle s’intéresse aux papiers peints de la Manufacture française Zuber et s’inspire de leurs décors historiques représentant des paysages idéalisés remplis de végétation luxuriante qui en vérité occultaient la réalité du colonialisme. Ces panneaux colorés deviennent porteurs d’un message caché puissant : c’est une invitation à ne pas oublier l’histoire. L’artiste fait le choix d’y intégrer des oiseaux exotiques des Amériques qui sont aujourd’hui menacés, illustrant ainsi l’héritage destructeur du colonialisme sur la faune et la flore jusqu’à nos jours.
Le travail de l’artiste prend donc des dimensions évidentes. Elle explore les thèmes de l'environnement, de la violence et de la culture de consommation, tout en transmettant un message d’optimisme. C’est alors que réside une force paradoxale : être à fleur de peau c’est accepter de ressentir tout, cette sensibilité devient une force que les créations de T. Kostianovsky incarnent. C’est après le décès de son père chirurgien en 2017, que l’artiste décide d’utiliser ses vêtements et ceux de ses proches pour façonner des sculptures représentants des arbres morts. Ces œuvres explorent alors des notions telles que la mémoire, la fragilité et la résilience face à la destruction.
Dans le sous-sol de la galerie, se trouve un tronc d’arbre coupé, imposant. Les arbres de T. Kostianovsky symbolisent la capacité de ce qui est détruit à se réinvestir de sens et de beauté grâce à la transformation des matériaux recyclés. Ce processus évoque également l’espoir qui peut naitre de ce qui parait fragile, perdu.
Engagée sur le plan écologique, T. Kostianovsky montre par ses œuvres une autre dimension dans laquelle l’expression À fleur de peau prend sens. Sous la verrière se trouve un arbre morcelé, porteur d’une symbolique forte. Bien qu’il soit arraché de son environnement, cet arbre n’est pas mort : des teintes de rouge et de rose habillent l’intérieur du tronc. Elles rappellent les veines et le sang qui circulent en nous, créant un écho entre l’arbre et l’humain, soulignant la continuité de la vie, mettant en lumière une vie à fleur de peau.