David Zwirner a le plaisir de présenter l’exposition Moon voyage dans sa galerie parisienne, sélection d’œuvres de l’artiste, auteur et polymathe antiguayen Frank Walter (1926-2009). Organisée en étroite collaboration avec l’historienne de l’art Barbara Paca et la famille Walter, cette première exposition personnelle de l’artiste à Paris est également la quatrième avec David Zwirner.
Cette exposition coïncide avec celle, collective, qui s’ouvre en 2025 au Centre Pompidou-Metz sous le titre Après la fin. Cartes pour un autre avenir, dans laquelle le travail de l’artiste est représenté. Moon Voyage fait d’autre part suite à plusieurs présentations récentes au sein d’institutions muséales : deux expositions personnelles au Drawing Center de New York (2024) et au Garden Museum de Londres (2023), ainsi que deux expositions collectives à la Bourse de Commerce – Pinault Collection à Paris (2024) et à la Fondation Carmignac à Hyères (2023).
Composée de peintures, d’œuvres sur papier et d’ephemera choisies faisant écho aux mille et une péripéties de la vie intellectuelle et artistique de Frank Walter, Moon voyage met en lumière l’évolution de sa pratique et de son esthétique. D’abord ancrées dans la peinture de paysage, celles-ci se déplacent ensuite vers l’abstraction, avant que l’artiste n’opère un retour à certaines vistas et motifs, pour explorer différentes idées et stratégies de composition. Les œuvres ici présentées, faisant la part belle à des sujets individuels, des couleurs vives et des formats intimistes, soulignent aussi le côté romantique de Frank Walter en mêlant l’utilisation de formes abstraites à des allusions aux merveilles du monde naturel ou à l’évocation de concepts scientifiques, en particulier « cosmiques ».
Comme l’écrit Barbara Paca dans son texte accompagnant l’exposition, « les peintures abstraites de Walter contiennent des significations symboliques faisant souvent référence à des expériences personnelles et professionnelles dans d’autres domaines et genres, tels les témoignages historiques, la musique ou encore l’écriture philosophique. En s’éloignant des références visuelles issues du monde naturel pour davantage s’appuyer sur l’abstraction, Frank Walter s’est donné la possibilité de peindre ses “sentiments et ses visions” tout en transformant “l’invisible” en “esthétique”»1.
L’exposition emprunte son titre à l’un des tableaux de la série Milky way galaxy – l’un des sujets de l’exposition –, où l’artiste exprime son vif intérêt pour l’espace, la vie extraterrestre et les mystères de l’univers. La réunion – quasi inédite – de plusieurs œuvres issues de cette série constitue l’un des axes principaux de l’exposition. Au moyen d’une palette de jaune doré, gris, noir, blanc et rouge, Frank Walter y met en scène un cosmos fantastique semé de motifs évocateurs (vaisseaux spatiaux filant à grande vitesse, rais de lumière céleste, cratères lunaires...), inspirés par l’observation régulière du ciel nocturne et la contemplation des astres comme de l’obscurité. Selon la commissaire d’exposition Claire Gilman, « bien que ces images se démarquent visuellement d’études où l’artiste représente le monde autour de lui, elles prolongent néanmoins l’engagement de Frank Walter dans une forme d’observation rapprochée : pour lui, voir est une opération aussi bien mentale que physique »2.
Peuplée de scènes et de personnages aussi bien piochés dans la réalité que dans les visions de l’artiste et enjambant tout l’espace-temps, du monde physique à celui de la spiritualité, Moon voyage illustre à la fois le grand sens de l’observation de Frank Walter et l’ampleur de son imagination débordante.
Un second ensemble de peintures – des scènes plus ou moins figuratives peuplées de personnages indifféremment piochés dans la réalité ou dans ses visions – éclaire plus avant le grand sens de l’observation de Frank Walter et l'étendue de son imaginaire foisonnant. Autoportraits réinventés et éléments d’héraldiques revisités côtoient de paisibles saynètes en pleine nature et des compositions architecturales hautes en couleurs : une variété qui témoigne de l’envergure de sa pratique artistique et de sa vision esthétique.
Un pan de mur de la galerie est intégralement consacré à une installation très complète des « peintures Polaroid », pour lesquelles l’artiste est connu : des paysages exécutés dans le respect des traditions, mais sur des emballages de films Polaroid. L’échelle intimiste, l’intensité des couleurs, la puissante sobriété des compositions illustrent à merveille l’essence du travail de Frank Walter, comme autant de fenêtres miniatures ouvrant sur son extraordinaire univers. Ceci rejoint ce que note Barbara Paca à leur sujet : « Avec une grande économie de moyens, le pinceau de Frank Walter révèle une connexion profonde et chargée d’émotion avec les notions de mémoire et de lieu. Ses minuscules “peintures Polaroid” [...] captent l’attention du visiteur en saisissant l’essence même d’éléments paysagers familiers dans des compositions agençant avec soin champs et prairies, arbres et plantes, montagnes et ciel. Dans le même temps, ces éléments facilement identifiables sont représentés de façon inattendue et personnelle de par le choix d’une palette tout sauf naturaliste. À l’évidence, Frank Walter est un coloriste de génie »3.
L’exposition comporte également une large sélection de documents d’époque issus des archives de l’artiste – photographies, carnets, esquisses, lettres, effets personnels... Venant en appui aux œuvres présentées, ils jettent un jour nouveau sur les voyages de Frank Walter, qu’ils soient réels ou spirituels.
Frank Walter est le créateur d’un œuvre riche embrassant une variété de médiums, de styles et de formats. Paysages aux couleurs vives se distinguant les uns des autres, portraits inquisiteurs pleins d’inventions formelles ou compositions abstraites au traitement plus systématique se succèdent sous le pinceau de l’artiste, unifiés par sa manière picturale si caractéristique et sa palette captivante. Né Francis Archibald Wentworth Walter à Horsford Hill sur l’île d’Antigua en 1926, Frank Walter se distingue dès son plus jeune âge par ses capacités intellectuelles, évidentes pour sa famille et rapidement reconnues par la communauté locale, qui lui témoigne respect et admiration. Un attachement profond à sa terre natale le conduit à étudier l’agriculture et l’industrie de la canne à sucre, sur laquelle repose l’économie antiguayenne. À l’âge de 22 ans, il devient ainsi la première personne racisée à travailler en tant que gérant au sein du Syndicat du sucre d’Antigua, poste où il contribue à moderniser les méthodes de récolte et de production, s’efforçant d’améliorer le statut et les conditions de travail des employés.
Les années 1950 sont marquées par de nombreux voyages au cours desquels il se forme à des techniques agricoles et industrielles de pointe en Angleterre, en Écosse et en Allemagne de l’Ouest. Il est également confronté à l’ampleur des préjugés et discriminations raciaux envers les personnes non-blanches, et doit souvent se résoudre à travailler comme journalier pour survivre. Lors de son séjour en Europe, Frank Walter explore diverses pratiques créatives et artistiques : le dessin et la peinture, mais aussi l’écriture (prose, poésie et philosophie). En plus de ces trois activités, l’artiste s’essaye à la sculpture, à la photographie et à l’enregistrement audio après son retour aux Caraïbes, en 1961. Au début des années 1990, Walter dessine puis construit sa maison-atelier dans la région de Bailey Hill à Antigua, où il vit jusqu’à sa mort dans un relatif isolement, s’adonnant à la réflexion, à l’écriture et à un art inspiré par ses pensées, ses connaissances, ses voyages et son environnement.
Outre les rétrospectives qui ont été présentées au Pavillon d’Antigua-et-Barbuda lors de la 57e Biennale de Venise en 2017 et au Museum für Moderne Kunst de Francfort en 2020, Frank Walter a fait l’objet de plusieurs expositions personnelles, comme à la Douglas Hyde Gallery du Trinity College à Dublin en 2013 et, en 2017, à la Harewood House à Leeds, au Royaume-Uni. Lors de la 58e Biennale de Venise en 2019, le travail de Walter figurait dans l’exposition collective Find Yourself: Carnival and Resistance, traitant du thème du carnaval dans la culture d’Antigua-et-Barbuda, sous le commissariat de Barbara Paca et Nina Khrushcheva. L’exposition collective Get Lifted!, tenue en 2021 à New York sous le commissariat de Hilton Als pour Karma, comportait également des œuvres de l’artiste. En 2024, David Zwirner Books a publié un catalogue intitulé By land, air, home, and sea: the world of Frank Walter, incluant des essais critiques inédits et un texte de la main de Hilton Als, commissaire de l’exposition éponyme qui s’était tenue chez David Zwirner New York en 2022.
Les œuvres de Frank Walter figurent dans les collections permanentes d’institutions telles que Glenstone à Potomac dans le Maryland, le Minneapolis Institute of Art, le Museum für Moderne Kunst de Francfort, la Collection Pinault à Paris et le Rennie Museum à Vancouver. L’établissement d’un catalogue raisonné de l’œuvre de Frank Walter est en cours, aux bons soins de la famille Walter et de Barbara Paca.
Notes
1 Barbara Paca, Moon voyage, 2024.
2 Claire Gilman, "To capture a soul", in Frank Walter: to capture a soul, cat. exp., New York, The Drawing Center, 2024, p. 76.
3 Paca, Moon voyage.