Cette histoire dʼamour traversée par la mort annoncée de l’un des deux amants est bouleversante. Avec ce spectacle, véritable choc lors de sa création en 2015, Maud Lefebvre et Agnès D’halluin créent une arme d’émotion massive. Il est urgent de (re)découvrir ce travail.
Ils sont là, tranquillement, dans leur cuisine, à discuter en découpant des légumes et un morceau de viande qu’ils ne vont pas tarder à griller et qui embaumera la salle. Pourtant l’effroi est partout, dans ce grand couteau que l’un manie avec précision et dans ce qui s’annonce : l’un deux, malgré sa jeunesse, va être emporté par une maladie incurable. Alors que faire ?
Vivre ! Dans chacune des pièces de leur chalet commun, ils vont rire, s’engueuler un peu, s’aimer beaucoup, sans impudeur ni pudibonderie. Et si celui qui reste inconsolable dévorait le corps de l’autre après sa mort ?
Une image parmi d’autres images rituelles ; car il n’est pas question dans Cannibale de faits divers, mais du symbole d’un grand amour. Jamais Maud Lefebvre et Agnès D’halluin ne proposent une atmosphère morbide et sombre. Au contraire, tout est solaire, drôle et même cinématographique lors de leurs promenades en forêt, comme si Rohmer avait croisé Guiraudie.
Aucun ethnologue sérieux ne conteste la réalité du cannibalisme, mais tous savent aussi qu’on ne peut le réduire à sa forme la plus brutale consistant à tuer des ennemis pour les manger.
(Claude Lévi-Strauss, Nous sommes tous des Cannibales)