Depuis deux ans ma mentalité, par le choix, le cadrage des affiches que je collecte a changé. Auparavant, je tenais à ce que l’aspect commercial ou politique soit détourné. Le slogan, la marque du produit devenait illisible, le sourire de la star, de l’homme politique devait y être défiguré. Lorsque je raptais des affiches d’expositions de peinture, même si j’avais en grand estime le peintre exposé, j’avais, malgré l’ironie déformante apportée par les déchirures, le sentiment de me confiner dans mon propre milieu de plasticien.
Cette nouvelle série thématique que j’ai entrepris de rassembler concernant les groupes de musique ambulants, les rappeurs, les rockers, me décomplexe tout au contraire. La redondance de leur nom, si peu hachuré, lisible le plus souvent est pour moi une transmission d’information qui ne me gêne nullement.
J’espère ainsi créer un pont entre deux milieux qui s’ils se côtoient, se connaissent peu, ne se fréquentent guère. De même inciter leurs différents publics à s’immiscer dans un art qui peut-être les trouvait indifférent.
L’exposition Jacques Villeglé, Star, la première organisée par la galerie depuis son décès en 2022 et la 13ème depuis le début de notre collaboration avec l’artiste en 1999, a été conçue comme un hommage à son insatiable curiosité explorant les relations qu’il entretenait avec le monde du spectacle (cinéma, danse, théâtre et musique) des années 50 à la fin de sa carrière.
Julie Chaizemartin écrit à ce sujet dans le catalogue de l’exposition : « À chaque manifestation du peuple, à chaque clameur de joie, à chaque mouvement de foule, à chaque flash info, à chaque émotion collective, pourrait correspondre une affiche lacérée de Jacques Villeglé.
Dans ce rapport direct à la voix et au désir du peuple, réside la pertinence du geste de l’artiste qui s’est approprié les ready-made de la rue, déchirés, tailladés, barbouillés par des anonymes et le passage du temps, pour les ériger en œuvres d’art. De cette pratique (…) est né le concept du « Lacéré anonyme » (…) théorisé par Villeglé comme protocole artistique permettant de faire l’inventaire d’une imagerie populaire omniprésente dans notre quotidien (…).
La nostalgie s’invite dans ce grand capharnaüm socio-culturel formel qui se transforme en archives émouvantes de nos places publiques, là où se sont toujours élevées les voix de la démocratie et de la culture, là où les contestataires ont protesté, là où le peuple s’est exprimé. Comme les fresques de Pompéi, elles disent le mode de vie d’une époque révolue, âge d’or d’une vie libertine et rock, du plus fameux théâtre parisien à la plus petite salle municipale de banlieue. Relayant l’actualité des salles de concerts, des théâtres et des cinémas, elles sont également la preuve de la diffusion de la culture dans toutes les strates de la société. Mais à travers elles, c’est surtout l’intérêt de Villeglé pour la non-hiérarchie des arts qui transpire ».
Ce catalogue, publié par la Galerie et les presses du réel, comprend également un avant-propos d’Emma Lavigne, directrice de la collection Pinault, et un essai de Jeff Mills, artiste musicien et plasticien.
En parallèle, la galerie présentera dans son espace new-yorkais la première rétrospective de l’artiste, Jacques Villeglé, The french flâneur (Works from 1947 to 2006).