Grâce à un système reliant plusieurs appareils photographiques, Barbara Probst déclenche une prise de vue simultanée du même événement, du même geste ou de la même action, à des distances ou selon des angles différents. Cet instant démultiplié en plusieurs vues constitue une exposure, une constellation de perspectives qui induit des lectures plurielles, parfois contradictoires, de l’image.
Son travail est naturellement marqué par ses premières années d’études à l’Académie des beaux-arts de Munich et ses cours de sculpture : « Tous les jours, on travaillait avec de l’argile à partir d’un modèle nu qui posait pour nous. Le modèle se tenait debout sur une table que l’on faisait pivoter toutes les dix minutes d’environ 30 ou 40 degrés, afin que chaque étudiant soit capable de le voir sous tous les angles possibles. » Devenue photographe, Barbara Probst sculpte le temps. Et impose une grille de lecture spatiale à notre appréhension de l’image.
Par des gestes, des visages, des objets les plus neutres possibles, elle parvient à réduire au maximum le caractère narratif de chaque vue pour tendre vers une lecture plus ouverte, plus ambigüe. Les écrivains et réalisateurs des années 1960 en rupture avec la narration classique, comme Alain Robbe-Grillet ou Jean-Luc Godard, l’ont toujours intriguée : « Leur façon de construire un récit en introduisant des trous ou des non-dits dans l’histoire ou en changeant de manière inattendue de perspective, va à l’encontre de ce qui était anticipé par le lecteur ou le spectateur. Ils traitent l’histoire comme un peintre cubiste traite l’espace.»
Souvent dans ses travaux, la mise en scène s’inscrit dans le flux aléatoire de la vie, brouillant un peu plus les pistes entre ce qui a été imaginé et ce qui est survenu.
L’image, cette hallucination collective chère à Roland Barthes, devient un puzzle mental à recomposer. Le format imposant des exposures, leur déploiement au mur, leur construction complexe : tout invite le spectateur à scruter, à enquêter, à se déplacer pour construire mentalement le scénario possible de l’instant. Interrogeant les indices, jaugeant les positions, éliminant l’impossible, il en vient à faire l’expérience, dans l’espace et dans le temps, de la vraisemblance de l’image et de la validité de son propre regard.
Est en jeu, ici, la perception de l’image et son autorité quant au fait représenté. Un angle de vue peut-il être plus vrai, plus juste ou plus légitime qu’un autre ? Dans cette profusion de sens possibles, comment s’établit la réalité d’un événement ? Barbara Probst désoriente et perturbe notre aptitude à connaître en voyant. Le monde, perçu comme un faisceau synchrone de points de vue divergents, devient un espace instable à recomposer. Et la vérité, ce terreau meuble, une équation à résoudre.