La galerie Polka est heureuse d’annoncer sa collaboration avec le fonds Janine Niépce et de présenter une exposition de plus de soixante tirages d’époque prélevés dans ses archives personnelles. Lointaine descendante de l’inventeur Nicéphore, Janine Niépce débute en 1945, à l’aube de la Libération dans les pas des grands humanistes français.
Née en 1921, 8 ans après Robert Doisneau, 11 ans après Willy Ronis, 13 ans après Henri Cartier-Bresson elle est leur petite sœur de cœur. Par sa grammaire visuelle, sa méthode, son optimisme, sa culture, sa sincérité et sa tendresse, elle dispose d’une place au Panthéon d’un mouvement qui après la Seconde Guerre mondiale et au fil des Trente Glorieuses, ressuscite, par son réalisme si poétique, l’être humain dans sa vie ordinaire et sa dignité. « Je dois dire que dans toutes les photos de Janine Niépce, il y a du bonheur » écrit Marguerite Duras.
Le monde qui redécouvre, après la guerre, le goût de vivre est le sien. Elle qui, enfant, dévorait du regard les pages de L’Illustration et les projections des reporters d’Albert Kahn à Boulogne. Elle qui fut l’une des premières femmes reporter de presse (entrée en 1955 chez Rapho, elle est alors, avec Sabine Weiss, la seule femme de l’agence). Elle qui a débuté en développant des films pour traquer les positions de l’ennemi allemand pour le compte de la Résistance avant devenir agent de liaison et petite main, à la Libération, du service social des Forces françaises de l’intérieur.
Janine Niépce est de ces photographes « polygraphes », l’expression est de Ronis, qui avant le triomphe de la télévision façonnent l’iconographie d’une France qui se reconstruit. En pérégrinant et en épuisant, au rythme des projets et des commandes, dans une sorte de geste à la Atget, les sujets et les images d’une vie. Mais réduire ce grand œuvre au pittoresque nostalgique et à l’imagerie caractéristique des rues montmartroises pavées, de baguettes de pain, de cafés à Saint-Germain des Prés et de petits ponts sous la brume relève d’une erreur grave. L’humanisme marque aussi le début de l’engagement idéologique du photographe. A l’heure des crises économiques et des luttes sociales, des mouvements de décolonisation, des conflits de blocs. L’auteur-photographe humaniste est attentif à ce « monde qui change » (c’est le titre du livre que signe Janine Niépce en 1970, deux ans après les événements de Mai-68 qu’elle a suivi appareil au point) et dont il veut être le témoin.
Janine Niépce a consacré sa vie à raconter la modernisation des campagnes et les changements de la vie paysanne, les grandes transformations urbaines, la disparition des petits métiers dans un monde devenu technologique, le progrès social, la vie nouvelle dans les monuments du passé, l’évolution de la vie des femmes et leurs revendications pour l’égalité, salariale en particulier.
A propos des grèves des ouvrières de la fabrique d’Herstal en Belgique, qu’elle a suivi en 1966, elle se souvient : « J’étais le seul photographe qui suivait ce long cortège ». Qu’importe le pronom masculin. Elle était une photographe de conviction, pas une militante du symbole.
Et surtout une grande artiste qui a su séduire le plus difficile des publics... « Quand j’exposais, j’aimais beaucoup écouter les réflexions des enfants qui comprennent la spécificité du reportage. Aucune référence chez eux à la peinture ou au cinéma. Ils se laissent aller à leurs émotions… Lors de l’une d’entre elles, un groupe d’aveugles conduits par leur guide m’a d’ailleurs montré les photographies qu’ils préféraient... Cela peut paraître insolite d’avoir parmi ses meilleurs supporters des enfants et des aveugles. La vérité est souvent invraisemblable. »