Dans l’univers créé par Florian Mermin, les pattes des araignées se terminent par des ongles pointus, les bancs sont hérissés d’épines et les troncs d’arbre couverts de poils. Bref, rien n’échappe à la transformation. Plats, paravent, patères, pots de fleurs et rideaux forment un décor à la fois intérieur et naturel, qui tient de l’aménagement aussi bien que du cinéma et l’on pense à bien des films en les découvrant; car s’ils y ont un usage potentiel, ces objets y jouent surtout un rôle, dans un registre familier, romantique ou horrifique, apparaissant tantôt sympathiques, tantôt inquiétants, attirants ou repoussants, souvent les deux à la fois. On ne s’étonne pas non plus qu’ils soient pour certains liés à des souvenirs personnels, d’enfance pourquoi pas, ou encore à des réminiscences littéraires, poétiques bien sûr.
L’ambivalence qu’ils manifestent tient pour beaucoup aux techniques et matériaux employés: le métal forgé et la terre cuite supposent en effet autant de maîtrise que d’imprévisible; ils résultent d’une volonté de forme et de l’acceptation des accidents; ils présentent des surfaces qui vont du brillant au terne, du lisse au rugueux, suggérant ainsi une large gamme de sensations. Il en va de même des paillassons – qui dira le caractère râpeux des pas de portes? Est-ce là la douceur affichée du Home Sweet Home? – et des fourrures, lesquelles, par ailleurs, nous précipitent dans un monde d’apparences et de faux semblants. Dans les premiers en effet, on voit une brosse mais qui n’en a pas la forme habituelle et qui rappelle soit l’herbe sèche quand ils sont marrons comme ici, soit quand ils sont verts, le rêve impossible d’un gazon résistant à l’abrasion. Les secondes, qu’elles soient naturelles ou synthétiques, restaurent, pour l’homme démuni face au froid mordant, un pelage protecteur tombé au cours de l’évolution. Ici, donc, les barrières d’espèces tombent, la nature et l’artifice s’entremêlent, tandis que les objets sont, plus encore que quotidiens, domestiques: certes parce qu’ils se trouvent dans les maisons, mais plus encore parce qu’en eux le sauvage a un jour été apprivoisé et qu’il se tient peut-être prêt à resurgir à tout moment. Par cette instabilité et cette circulation généralisée, le régime de notre rapport au monde se trouve en profondeur interrogé: est-il à notre disposition ce monde – comme l’homme semble depuis longtemps le croire – ou se prête-t-il, simplement et pour un temps seulement, à notre petit jeu? Est-il à l’unisson de notre humeur ou est-ce plutôt lui qui se projette en nous et exprime, à travers nous, ses mouvements indicibles?
À ces questionnements, le dispositif imaginé par Florian Mermin pour l’entrée de la galerie semble une bonne introduction: nous y foulons la terre, attentifs aux sensations que cela nous procure, la couleur, inhabituelle au sol d’un espace d’exposition, la souplesse et l’enfoncement, le son étouffé, l’odeur du terreau; nous croyons même y imprimer notre marque – bien vite recouverte et effacée toutefois – tandis qu’elle, la terre, s’accroche à nos semelles et progresse avec nous subrepticement, nous utilisant comme véhicule pour sa propre dissémination dans l’espace. Alors, qui sert qui dans cette histoire vieille comme le monde et nos destins ne sont-ils pas autrement plus liés que par un rapport de domination? Voilà qui invite à la modestie et à la considération, voire à la solidarité.
Né en 1991, Florian Mermin est diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts avec les félicitations du jury et de l’Otis College of Arts & Design de Los Angeles. Il a reçu plusieurs distinctions dont le prix Sculpture/Installation des Beaux-Arts de Paris en 2016 et le prix Kristal du Salon de Montrouge en 2017. Son travail a été montré dans de nombreuses institutions, notamment à la Fondation Vuitton, à la Cité Internationale des Arts et au Musée de la Chasse et de la Nature à Paris, à Mains d'Oeuvres à Saint-Ouen, mais également à l'étranger comme au Castello di Lajone près de Turin, à Londres, à Los Angeles et à Séoul, entre 2013 et 2017.
Avec le soutien aux galeries / exposition du Centre national des arts plastiques.