Il y a une sorte de déformation qui vient avec l’adoration.
(John Currin)
Gagosian a le plaisir de présenter une exposition de peintures et de travaux sur papier de John Currin réalisés entre 1989 et 2014.
Tout au long de sa carrière, Currin a cherché le point d’équilibre parfait entre la beauté et la laideur. Ses sujets et sa maîtrise des techniques graphiques et picturales associée à sa prédilection pour l’extrême, l’humoristique et le grivois défient les tabous sociaux et sexuels tout en bouleversant la linéarité historique des genres. Des références aux portraits des grands maîtres, aux pin-up, à la pornographie et aux films de séries B sont canalisées en des images idéationnelles mais perverses de femmes, que ce soit de vigoureuses nymphes ou d’austères matrones.
Dans cette exposition, plusieurs peintures réalisées à des moments charnières de la carrière de Currin mettent en lumière l’évolution de la technique et des sujets de l’artiste. Miss Fenwick (1996) représente une femme blonde d’âge mûr vêtue d’une simple robe bleue; son corps peint tout en délicatesse contraste avec les traits de pinceau épais de son visage qui lui donnent une impression de dessiccation et de délabrement. Un simple contraste dans le grain et Currin parvient à suggérer les courants sous-jacents obscurs des conventions sociales et à briser les courbes de la féminité avec la lourdeur de l’âge. Dans Young Woman on a Lounger (2014), les longs cheveux roux de la femme encadrent son visage au teint de porcelaine tandis qu’elle regarde doucement en direction du spectateur; et pourtant, la légère déformation que Currin inflige à sa peinture la fait basculer vers le grotesque malgré la pose sensuelle du modèle et sa nonchalance affectée.
En 2011 et 2012, les peintures de Currin ont été exposées au Frans Hals Museum aux Pays-Bas à côté de chefs-d’œuvre du peintre Cornelis van Haarlem datant de l’âge d’or de la peinture néerlandaise; on a pu ainsi voir les liens historiques évidents qui existent entre les deux artistes dans leur manière de traiter la chair, la texture de la surface, l’ombre et la lumière. Ces thèmes ont fait l’objet d’une nouvelle approche en 2017, lorsque Gagosian a présenté des dessins de Currin à Frieze New York. La sélection des œuvres graphiques qui couvrait toute sa carrière a mis en évidence les réseaux complexes des références culturelles historiques et populaires (de même que les simples plaisanteries) qui s’assemblent avec fluidité dans les peintures de Currin. Les dessins, choisis dans plus d’une centaine de carnets de croquis et de bloc-notes – études pour gravures et peintures, natures mortes, portraits, aquarelles légères, gouaches, fusains, encre et crayons – montrent comment l’approche conceptuelle de Currin a évolué dans sa représentation de l’être humain en parallèle avec le développement de sa démarche artistique si singulière.