Durant l’été 2018, le Musée Tinguely organise une exposition monographique consacrée à l’artiste/la photographe indienne Gauri Gill (née en 1970 à Chandigarh, elle vit actuellement à New Delhi). L’exposition présente deux ensembles d’œuvres intitulées Traces et Birth Series qui proviennent de son abondante archive photographique Notes from the Desert. Pour la première série Traces, Gill a réalisé des photographies grand format de sépultures dans le désert du Rajasthan occidental. Ces tombes constituent d’indispensables lieux de mémoire pour les familles et les membres de la communauté. Leur simplicité et leur tendance à se fondre dans le paysage rendent ces images particulièrement touchantes. Composée de huit photographies, Birth Series représente la naissance de la petite-fille de la sage-femme Kasumbi Dai qui avait convié Gill à assister à l’événement et à le photographier. En présentant des aspects de la venue au monde et de la disparition dans un contexte culturel spécifique, ces deux séries photographiques sont complémentaires. Dans une mise en regard avec l’œuvre Mengele-Totentanz (1986) de Jean Tinguely, ces séries duales contrastent avec l’opulence de la tradition visuelle du motif de la danse macabre.
Depuis 1999, Gill consacre une grande partie de son temps aux populations rurales marginalisées du désert du Rajasthan occidental. Elle rend régulièrement visite à des amis nomades yogis, des migrants musulmans et des petits paysans bishnoïs. Aujourd’hui, son archive Notes from the Desert comprend plus de 40 000 photographies. Cette archive ouverte se compose de projets collaboratifs avec les populations locales (Balika Mela) et de reportages photographiques consacrés à leur vie (Traces, Birth Series), tout en mettant l’accent sur l’interprétation artistique locale et la production traditionnelle d’images (The Mark on the Wall).
Traces... est une des séries photographiques qui constituent cette abondante archive. À l’image, les sépultures présentent de violents contrastes formés par le soleil étincelant et les ombres qui soulignent le relief du sol et la texture des éléments naturels et d’autres matériaux (sable, pierre, porcelaine et tissu). Elles accentuent la présence du lieu, transmettent quelque chose qui relève du « grand souffle » imaginaire, disent la pureté et le silence du désert qui produit à son tour une sensation de légèreté aérienne. Gill s’est rendue sur ces tombes en compagnie de proches ou d’amis des défunts. Nombre d’entre elles sont très personnelles, souvent discrètes et passent inaperçues pour les étrangers. Roches, tessons d’argile, pierres tombales gravées à la main ou objets personnels indiquent l’emplacement funéraire avec la plus grande modestie de moyens, rendent hommage au défunt et cultivent la mémoire. Des objets d’usage courant ayant appartenus à un défunt semblent à la fois raconter une histoire et figurer à disposition pour une seconde vie. Ces sépultures sont aussi bien celles de populations nomades et sédentaires que de communautés religieuses différentes – hindous et musulmans – unies dans la simplicité du fait de ressources économiques précaires.
Composée de huit photographies d’un format inférieur, Birth Series illustre la venue au monde – en contrepoint à la disparition – avec la même empathie et objectivité. L’amitié qui lie Gill à Kasumbi Dai, sage-femme féministe exerçant à Ghafan, un village reculé du Motasar, lui a permis d’assister à la naissance de sa petite-fille. La terre sablonneuse de la maison constitue le premier contact du nouveau-né avec le monde. En toute « naturalité » et simplicité, l’événement de la naissance revêt une dimension solennelle, presque méditative, comme l’exprime le visage sillonné de rides et plein de vie de Kasumbi Dai.
Depuis l’été 2017, l’œuvre Mengele-Totentanz (1986) de Jean Tinguely est installée dans une nouvelle salle du musée semblable à une chapelle. Afin de souligner le caractère pluridimensionnel de cette œuvre tardive majeure, le musée présente une série d’expositions en lien avec certains aspects de Mengele-Totentanz. L’an dernier, Dancing Room de Jérôme Zonder a inauguré ce cycle. À travers une multitude de dessins consacrés à des atrocités indicibles commises par l’homme et à des catastrophes humanitaires qui se sont produites au cours des cent dernières années, l’artiste adhère à la critique éminemment politique formulée par Tinguely envers le totalitarisme. L’intérêt de Tinguely pour le catholicisme et la foi en général, son « macabrisme ludique » à travers lequel il ne cesse d’opposer la vie à la mort, forme un point de référence pour l’exposition de photographies de Gauri Gill qui explorent la manière d’approcher la mort, le souvenir et le cycle de la vie dans l’âpre désert du Rajasthan occidental. La modestie et la spontanéité absolue des images contrastent avec l’opulence baroque du motif traditionnel de la danse macabre dans le travail de Tinguely qui associe moralité, satire sociale et terrible effroi (S. Osterwijk). Telles un « memento mori », ces deux œuvres s’inscrivent dans des cycles naturels qui relativisent nos existences comme parties d’un ensemble plus vaste et qui se proposent de nous apprendre à gagner en sérénité.
D’autres expositions autour des thèmes suivants sont en cours d’élaboration : l’inscription du temps personnelle et archéologique dans les objets du quotidien, l’animisme surréaliste-fantastique du langage visuel de Tinguely ainsi que la tradition de la danse macabre elle-même qui aurait marqué sa vie à Bâle.