Récemment exposé au Palais de Tokyo, à la BnF et actuellement à la Halle Saint Pierre, Ronan-Jim Sevellec bénéficie d’un solo show d’ampleur à la Galerie Antonine Catzéflis en novembre 2017. L’artiste y exposera 12 « boîtes », petits mondes réalistes sous vitre qui happent le regard et dont la réalisation lui a pris pour certaines près de quinze ans. Rare autant que fascinant.
Pour plonger son regard dans les « boîtes » de Sevellec comme il aime lui-même les dénommer, rien de mieux que de comprendre son goût pour la cueillette et l’attention particulière qu’il porte aux petits débris du quotidien.
« Au départ, j’ai dans la tête une ambiance » explique-t-il. Et en arrière fond, des souvenirs. Des images, des miettes de scènes prêtes à prendre forme et vie. « Je cherche peut être à revivre quelques moments de ma vie, mais a-t-on jamais le choix de faire autre chose ? ».
Sevellec est un être de nostalgie mais c’est du présent qu’il parle. Il regarde et « observe les choses d’aujourd’hui à travers un prisme particulier qui lui fait penser à un monde où il était plus jeune » poursuit-il.
Jamais il ne souhaite ger le passé. Rien ne semble d’ailleurs être étouffé dans ses compositions. Elles sont plutôt closes, jusqu’au moment choisi et opportun où il décide de poser sous cloche l’ultime vitre frontale. Les œuvres de Ronan-Jim Sevellec sont une évocation du temps. A cet égard, pour dissuader le regardeur de chercher à situer ses pièces dans le temps en se basant sur le seul décor, il abandonne intentionnellement ça et là quelques magazines, ELLE ou Paris Match dont la couverture af che des personnalités contemporaines. Où Sevellec a-t-il puisé cette fascination pour ces univers théâtraux ? Ce furent d’abord de vieilles boîtes ou des tiroirs de récupération, dont il ôtait la poignée, qui servirent de réceptacles à ses toutes premières créations que l’on pourrait dé nir comme une proto-histoire des dioramas ici exposés.
Et puis, si l’on remonte plus loin, son père lui construisait des petits théâtres et personnages avec lesquels il a grandi. Depuis, l’artiste le concède, il a un regard attendri sur les petits objets recyclés, les jouets d’enfants qui habitent les espaces qu’il conçoit avec une dextérité sidérante depuis une vingtaine d’années. Si la réalisation peut-être rapide, la récolte est longue.
Avant que ses univers ne sortent de son imagination, il lui faut parfois bien du temps avant de disposer de la matière qui lui sera nécessaire.
Dans son appartement, son grenier et son atelier se trouvent ainsi une kyrielle de caisses, de sacs et de cartons qui logent ce qu’il a pu amasser au cours de sa vie. Et chose fascinante, tout est recon guré, et une grande part de fabrication est essentielle. « Je ne trouve rien qui soit déjà tout fait ou prêt à être disposé dans la boîte » raconte-t-il. Voilà qui l’éloigne et le distingue parfaitement du miniaturiste. Pour un balai de quelques centimètres, il aura choisi d’équiper le morceau de bois qui servira de manche, d’une tête faite d’un fragment de paillasson ou de brosse à dent, refaçonnés pour cet usage particulier.
Sévellec garde de la pratique du peintre qu’il est, un goût vif pour la composition et la couleur. Il met ainsi en volume des images pleines et grouillantes qui ont longtemps dansé devant ses yeux et grandi dans son esprit. Des images, mais aussi des idées et des sensations qu’il souhaite engluer dans un espace. Un espace-temps qui tient parfaitement du tableau vivant. Regardez cette cuisine aux carreaux de faïence bleus et jaunes… Ils semblent sortir de leur boîte comme un caisson de Jeff Wall. Les contrastes qu’offrent ses intérieurs valsent entre deux temps. Celui des maisons de la haute bourgeoisie qu’il a connues dans sa jeunesse, et d’autres plus vieillissantes parce que la fortune se dissipait ou connaissait de mauvais revers. On pourrait se situer à la n du 19ème siècle mais il y a toujours un indice pour nous guider sur des voies contraires. Il peint la viande dans une veine de l’Ecole flamande mais ce qui l’entoure relève d’une anti-chambre d’une boucherie contemporaine.
Ronan Jim Sevellec cultive les antithèses, il parle de grandeur et de décadence tout à la fois, d’hier et d’aujourd’hui. Il consigne la splendeur d’avant, décatie et fanée qui s’accroche au mur autant qu’il dessine le monde d’aujourd’hui dans son opulence, et dans la honte d’une société consommatrice qui cache tout ce dont elle déborde. Ses mises en scène de décharges, et la présence de rebus, de déchets et de poubelles en témoignent pleinement.
Couleurs fraîches ou ternes, voilées par la poussière, Sevellec évoque avec ses mondes en boîtes une caresse du temps qui passe. Rugueuse ou douce, elle montre qu’il y a encore de la vie.