L’exposition Ipomée, inaugurée dans le cadre du Brussels Gallery Weekend, rassemble une série d’oeuvres historiques présentées dans les musées de Dunkerque, Béthune et le Touquet en 2016 - 2017. Elles sont confrontées à un ensemble d’oeuvres récentes sur bâche et toiles. Certaines d’entre elles figureront dans la rétrospective organisée au Musée Fabre de Montpellier à partir de janvier 2018. Ipomée retrace l’évolution de la peinture de Meurice à partir du début des années 1980, avec l’apparition de feuilles, de branchages et de fleurs: les ipomées.
Jean-Michel Meurice est un des principaux représentants de la scène artistique fran- çaise des cinquante dernières années. Après avoir passé son enfance entre Lille et Bé- thune, il étudie la peinture à l’École des Beaux-Arts de Saint-Luc à Tournai. Il expose pour la première fois à Lille en 1962 à la galerie du Groupe A. L’année suivante, à l’occasion de sa première exposition collective à Paris, il présente La Barnum, 1963 qui retient l’attention de Pierre Soulages avec qui il se lie d’amitié. À la même période, Jean-Michel Meurice réalise une série de courts métrages sur des artistes contemporains (Pierre Soulages, Zao Wou-Ki, Bram van Velde, Sonia Delaunay …). Ces premiers films marquent le début d’une longue carrière d’homme de télévision et de réalisateur de documentaires.
Cette double activité de peintre et de réalisateur donne à l’œuvre de Jean-Michel Meurice une place unique dans l’histoire artistique et culturelle de la seconde moitié du XXe siècle et du début du XXIe siècle.
Peintre, à l’avant-garde du mouvement Supports/Surfaces dès le début des années soixante, Jean-Michel Meurice a construit une œuvre constante et vigoureuse. La rigueur apprise de l’histoire se mêle à l’énergie vitale des couleurs et à la liberté d’espaces ouverts à des formes nouvelles. Grand voyageur, il fonde son œuvre sur une profonde connaissance des arts d’Asie, d’Afrique et du Moyen-Orient. Ce savoir associé à une grande sensibilité, qui place le plaisir de la peinture au cœur de sa démarche, conduit Jean-Michel Meurice à explorer sans cesse de nouveaux systèmes de création dont le but est de donner à la couleur toute son expression.
En tant que cinéaste, au début des années 1960, Jean-Michel Meurice réalise des documentaires pour la télévision. Son objectif est de montrer la peinture en action. Il fait ainsi entrer la caméra dans les ateliers de Bram van Velde, de Simon Hantaï, de Pierre Soulages et plus tard de Pierre Alechinsky ou Vladimir Velickovic. Le cinéma est également pour Jean-Michel Meurice un moyen d’explorer les enjeux politiques et historiques du monde contemporain.
De 1985 à 1989, il dirige la création de la chaîne culturelle, la Sept, qui devient, en 1991, Arte. Il partage cette aventure avec les autres fondateurs de la chaîne, Pierre Bourdieu, Michel Guy et Georges Duby.
Apès l’ambitieuse séquence institutionnelle qui a dessiné une rétrospective de l’œuvre de Jean-Michel Meurice au fil de quatre expositions muséales à Dunkerque (LAAC), à Béthune et au Touquet, la Galerie La Forest Divonne – Bruxelles donne un coup de projecteur sur sa création depuis le début des années 1980. Une trentaine d’années capitales pendant lesquelle l’artiste étend son vocabulaire créatif en revenant au dessins et aux « Arabesques », à travers fleurs et feuillages, et poursuit son expérimentation formelle en ayant recours, entre autres, à des rideaux de douches ou des couvertures de survie. Ces supports fournissent à la fois des couleurs « ready-made » et des supports à l’avénement de la couleur picturale. L’exposition de Bruxelles se concentrera sur deux groupes de travaux : les Arabesques et les Ipomées, mêlant œuvres anciennes et production récente.
Je réfléchis toujours beaucoup à mes tableaux avant de m‘y livrer. Comme une bataille qu’il faut voir venir de haut pour en organiser le déroulement avant de s‘y plonger tout entier, aveuglément, avec comme seule perspective la volonté acharnée d’en sortir vainqueur, c’est-à-dire vivant. C’est une réflexion faite de concentration (pour garder la métaphore, concentration de ses forces), les forces, ce sont des livres d’art, des reproductions, des photos que je prends de détails d‘œuvres au cours de mes voyages et qui sont comme des croquis parce qu’elles sont des notes correspondant à quelque chose qui me parle dans ces œuvres, posent des questions ou apportent des visions lumineuses.
(Jean-Michel Meurice, 1985)
Au début des années 1980, Jean-Michel Meurice change de manière de peindre. Il fonde désormais son travail sur l’empreinte d’une feuille d’arbre utilisée comme pochoir. Après vingt années passées à tracer des bandes de couleurs horizontales, la forme végétale lui permet de renouer avec l’arabesque et de retrouver une certaine liberté du pinceau.
La forme de la feuille n’est pas un motif esthétique ou décoratif, elle constitue pour lui un signe nouveau de son écriture picturale. Elle est un outil qui permet de bâtir un système de diffusion et d’organisation de la couleur dans l’espace. Aux côtés des feuilles de platane, de figuier ou de bambou, la présence d’empreintes d’agrafeuses ou de bouteilles de peinture montre que le choix de la forme du pochoir n’est que secondaire. La feuille n’est qu’un prétexte pour créer les modulations infinies du chant de la couleur. Tel un calligraphe, Jean-Michel Meurice aurait pu également choisir d’utiliser une lettre de l’alphabet ou un chiffre. Peu importe la configuration du signe, l’objet de l’œuvre est toujours l’expression de la couleur.
Dans les premières œuvres de cette série, l’arabesque du contour des feuilles interrompt la linéarité des bandes de couleurs qui structurent la trame de fond. Progressivement, la répétition des signes végétaux occulte la grille colorée de l’arrière-plan jusqu’à masquer les signes végétaux eux-mêmes. À partir du milieu des années 1990, la forme de la feuille est de moins en moins lisible. Le pochoir permet à Jean-Michel Meurice de répartir des fragments de couleurs délimités par les espaces réservés en blanc. Le signe végétal en réserve, par l’absence de remplissage de couleur, est révélé par le fond de la toile. À nouveau, fond et forme ne font qu’un. Alors que dans les toiles bayadères précédentes, les traces de peinture saturaient tout l’espace, ici, l’essentiel n’est pas peint, mais révélé par la peinture. La couleur crée ellemême sa propre forme à la manière de Matisse qui dessinait en découpant directement dans la couleur des papiers gouachés. Pourtant, si Jean-Michel Meurice trace les signes abstraits dans la couleur pure, l’utilisation du pochoir met à distance le geste du peintre. La feuille est un intermédiaire médiumnique entre la volonté de l’artiste et son résultat. À chaque mouvement de pinceau sur la feuille/pochoir, le peintre trace à l’aveugle et sous le coup du hasard les entrelacs d’arabesques multicolores. Ce n’est qu’en enlevant la feuille/ pochoir de la surface de la toile que la mise en forme.
À la fin des années 2000, Jean-Michel Meurice recouvre la liberté de la main. Il renonce à la contrainte du pochoir et trace à main levée de grandes arabesques qui représentent des corolles de fleurs d’ipomées, de belles-dejour, ou d’aréthuses .
Les dessins de ces fleurs simples étaient à l’origine un délassement de la main auquel Jean-Michel Meurice se livrait entre la réalisation des œuvres des familles précédentes. Sur des toiles de grands formats, désormais les corolles de fleur éclosent laissant jaillir leur halo de couleur. Dans les premières œuvres de la série, les fleurs sont peintes en réserve sur un fond coloré. La ligne blanche dessine le contour des pétales tandis que des bandes de couleurs verticales scandent la surface de la toile. Le jeu d’opposition entre les courbes des fleurs et la rigidité des verticales accentue le mouvement fluide des arabesques. Ce contraste des formes semble vouloir affirmer le plaisir et l’émotion retrouvés de l’artiste qui laisse enfin s’exprimer le « chant libre » du dessin. L’ajout, par découpage et collage, de papier coloré au décor de fantaisie rappelle les premières œuvres des années 1960 créées à partir de rhodoïd, de vinyle ou de film aluminium. La présence de ces couleurs et de ces motifs readymade renforce la vigueur de la ligne souple du dessin qui découpe désormais en toute liberté sa propre forme dans la couleur.
Dans l’esprit des premières œuvres des années Supports/Surfaces, JeanMichel Meurice utilise également des supports en plastique polyester. Les ipomées en fleurs sont ainsi peintes sur de grands rideaux de douche dont les motifs imprimés ont attiré le regard du peintre. Parsemées des corolles de couleurs, les œuvres deviennent les palimpsestes de signes et de couleurs. Les rayures, les coquillages et les fleurs imprimés en série chantent de concert, avec les arabesques du peintre, la vitalité du dessin et l’éclat de la couleur.
La ligne des corolles et la couleur des pétales sont les signes nouveaux de la quête toujours renouvelée que mène le peintre à la recherche de la couleur pure et de son intensité absolue. Les différents œuvres de cette famille, sont aussi pour lui l’occasion de convoquer l’ensemble des techniques qui constituent son œuvre : collage/découpage, bâches plastiques, rayures, signes végétaux, bandes de couleurs et film aluminium. Cette unité retrouvée est la marque de la cohérence et de la permanence qui anime l’œuvre de Jean-Michel Meurice depuis plus de cinquante ans.