S'il était besoin d'une ultime preuve de l'inconséquence des « carrières » artistiques, il suffirait de rappeler que la peinture de Dominique Figarella n'a pas bénéficié d'exposition personnelle à Paris depuis 2000 (c'était à la Galerie Thaddaeus Ropac). Cet aberrant retrait n'est ni orgueilleux ni éloquent ; bêtement, il dépasse l'entendement.
Au-delà d'une réticence parfois dans le regard sur la peinture, cette absence résulte à mon sens d’une série de malentendus que, peut-être, cette nouvelle exposition sera l'occasion d'amoindrir, sinon de lever, permettant d'envisager son projet artistique dans toute son actualité, et dans une complexité qui n'est jamais spécieuse.
Depuis quelques années, Dominique Figarella colle parfois dans ses peintures des tirages digigraphiques de scènes semblant avoir été capturées dans l'atelier, hantées par une présence humaine jamais strictement réductible à l'artiste-même. Ces scènes semblent toujours édéniques : sunlights, tableaux portés comme des planches de surfs, jambes croisées que l'on devine terminées par des doigts de pieds en éventail... Dominique Figarella renvoie ostensiblement au regardeur l'image d'une « pratique » qui n'ait rien d'un « travail », mais également d'un « objet » qui demeure toujours une « aventure ». La généalogie qu'il se reconnaît : anarchistes de la fin du XIXème, dans l'entourage de Mallarmé et Fénéon, Incohérents, Dada, Fluxus, situationnistes, dominée par Kurt Schwitters et George Brecht, ne laisse aucun doute. Dominique Figarella entend régler son compte à la peinture bourgeoise, ou même aristocratique, pour y substituer une peinture d'artisan. Au mot d'ordre ambigu de Dostoïevski « La beauté sauvera le monde », Albert Einstein a paraît-il répondu : « C'est peut-être bien l'artisanat qui sauvera le monde »; entre les deux, Dominique Figarella a trouvé la place d'un atelier.
Le processus et le faire sont pour Dominique Figarella déterminants : sur des plaques d’aluminium, il passe d’abord au rouleau une couche plus ou moins homogène de peinture acrylique ; puis il déverse aléatoirement, dans ce champ monochrome (noir ou rouge), de la peinture blanche qui s’y dépose sous diverses formes, allant de grosses taches épaisses qui se craquèlent en séchant, à de petites gouttes et de fins mouchetis ; enfin, après avoir laissé reposer le tableau, le temps qu’il sèche mais aussi qu’il puisse être re-vu, l’artiste masque partiellement ces éclaboussures au moyen d’aplats géométriques (carrés ou rectangles) peints au pinceau avec cette même peinture qu’il a utilisée pour le fond.
Ce faisant, une forte tension se fait jour entre les différentes strates de peinture, mais aussi entre planéité et relief. Les aplats en effet ramènent la couleur du fond à l’avant, creusant les formes en surépaisseur tout en tendant à un arasement de la surface. Et ce qui peut au premier abord apparaître comme un cache s’avère au contraire fonctionner comme un révélateur : non seulement la dernière couche souligne et transforme les craquelures qui deviennent ainsi des tracés à même la couleur, mais ces formes géométriques simples, souvent au contact l’une de l’autre, tout en suivant les mouvements courbes de la matière, y dessinent des structures, voire des figures.
Sans doute sont-ce les couleurs employées (noir et blanc, rouge et blanc) qui font venir à l’esprit le suprématisme de Malévitch ; il peut s’agir aussi de l’éclipse ici opérée qui rejoue celle, dans le Quadrangle noir, du monde objectif escamoté derrière le carré noir du sans objet. Mais par un subtil renversement, c’est le masquage lui-même qui fait apparaître l’idée d’une figure qui n’est pas sans évoquer celles, très mécanisées, d’un El Lissitzky, c’est le bandeau de l’anonymat qui apporte une manière de détermination à la structure informe des taches qui, elle, rappelle bien davantage l’univers de Miró. Là est la tension jubilatoire qui anime ces tableaux : dans le surgissement d’un ordre géométrique dans l’apparent aléatoire des taches, dans ces formes rectilignes qui structurent un dynamisme qui toujours les déborde.