Ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre un peintre qui s’efforce de renverser les tables. Mais tel est le cas curieux d’Alun Williams, peintre britannique, qui passe une grande partie de son temps à orchestrer des rencontres fortuites avec l’histoire dans les rues d’Europe et d’Amérique du Nord. Il s’inspire d’artistes comme l’iconoclaste Francis Picabia, qui, en 1920, déclara clairement qu’une tache d’encre type Rorschach était La Sainte Vierge. Williams arpente les ruelles et artères de villes petites ou grandes, et déclare sans ciller, que les taches de peinture accidentelles, ici ou là, évoquent des personnages historiques importants.
Comme le dadaïste français, Williams mise sur le caractère irrationnel de la peinture illusionniste, a n de détourner le rôle de peintre d’histoire par un ultime rebondissement conceptuel. Son argumentaire maintient que, si quelques couleurs disposées de façon naturaliste sur un morceau de tissu peuvent représenter des gures historiques, alors certaines taches abstraites et évocatrices peuvent incarner divers personnages ayant animé tel ou tel endroit de la planète. Prise littéralement, cette méthode de libre association opérée par l’artiste a le pouvoir de transformer une banale course chez l’épicier du coin en rencontre avec des nobles du dix-septième siècle, des radicaux du dix- huitième et des hommes et des femmes ordinaires que l’Histoire avec un grand H souvent néglige.
En fait, c’est exactement comme cela que Williams en est venu à peindre des personnages aussi divers que le révolutionnaire américain, John Adams (qui vécut de multiples vies, et devint le deuxième président des Etats- Unis à l’âge de 62 ans), le rêveur et romancier Jules Verne ( l’artiste prétend que l’écrivain « voyagea dans le temps et l’espace » sans quitter son fauteuil), le poète et auteur de nouvelles, Edgar Allan Poe (une lettre controversée, attribuée à Alexandre Dumas, décrit le séjour que l’Américain est censé avoir fait à Paris), Julie Bêcheur (les historiens s’accordent seulement sur le fait qu’elle fut une marchande en vue, aux Halles, avant 1789), Hester Leisler, (la première lle de l’éphémère « Roi de New York », qui vécut longtemps, même après l’exécution pour haute trahison de son père par le nouveau roi Guillaume), et la légendaire marieuse, Marguerite Bourgeoys (elle établit la première « agence matrimoniale » au monde pour les « Filles du Roy » -quelques 800 jeunes françaises qui sur l’ordre du roi Louis XIV émigrèrent en Nouvelle France pour littéralement engendrer la population du Canada).
Représentés, dans presque chaque cas, par des formes peintes que Williams place sur des fonds extrêmement documentés – comme c’est le cas dans ses portraits de chaque « Fille du Roy » grâce à des citations de l’histoire de l’art - ses personnages prennent de nouveaux aspects abstraits qui correspondent aux circonstances fragiles de leur redécouverte. Comme l’explique l’artiste dans un entretien, il renverse l’art du portrait historique (et de la représentation elle-même) en apparentant ses portraits, parmi d’autres idées artistiques délibérées, à une idée de camou age. Plutôt que de rechercher des formes colorées qui deviennent invisibles -comme le suggère le mot camou er- sa propre pratique consiste obstinément à rendre surtout l’invisible visible. Après avoir vu ses portraits historiques, on ne regardera plus jamais des taches accidentelles ou des graf tis de la même façon.
Alun Williams est un artiste français, né en 1961 à Manchester, en Angleterre. Il vit et travaille à New York. Il expose ses peintures pour la première fois à l’Université de Manchester en 1979, puis part la même année étudier la peinture à l’École d’Art de l’Université du Pays de Galles. Il béné cie d’une bourse d’études à l’étranger et commence sa longue relation avec la France en intégrant en 1981-82 l’École Nationale des Beaux Arts de Bourges. Il termine ses études au Pays de Galles, fait une exposition personnelle à la Galerie Medamothi à Montpellier, puis poursuit ses études à l’École d’Art de Blackheath à Londres, avant de commencer un post-diplôme au Goldsmiths’ College (1985-87).
À cette époque, il expose notamment chez Maureen Paley (Interim Art) à Londres, ainsi que dans les musées de Stoke-on-Trent et Peterborough (Royaume-Uni). À la suite d’une résidence en lien avec l’École des Beaux-Arts de Nîmes, il y présente une exposition personnelle, qui sera suivie d’autres expositions dans différents lieux et galeries à Londres. En 1991, il entreprend un voyage aux États-Unis et au Canada, où il donne une série de conférences et fait plusieurs résidences. En 1992, il fonde avec Isabelle Viallat l’Association La Vigie à Nîmes. En 1993, il rejoint le bureau de direction de l’Association Triangle à New York. En 1995, il crée, avec Claire Lesteven et Bernard Plasse, l’Association Triangle France à Marseille, et travaille à La Friche Belle de Mai. À partir de 1998, il s’installe à New York, qui devient sa base principale, et en 2000, il fonde la Parker’s Box, dans le quartier des galeries gérées par des artistes à Brooklyn.
Aujourd’hui, bien que concentrant l’essentiel de son énergie sur sa propre pratique, Alun Williams continue à s’investir dans les projets expérimentaux menés à Parker’s Box, Brooklyn. Il soutient également les activités de Triangle à New York et suit de près celles de Triangle France à Marseille et de La Vigie à Nîmes. Il est également coureur de fond et membre du New York Road Runners Club et North Brooklyn Runners. Il a récemment exposé au Frac du Limousin, au Smack Mellon (New York), à la galerie Pierogi (New York) ainsi qu’à l’Université du Québec à Montréal, au Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain de Nice, et à la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence.
Lest, sa monographie a été publiée en 2011 aux Éditions Manuella, avec des textes de Cheyney Thompson et de Eric Mangion.