Walker Evans (1903-1975) est l’un des photographes américains les plus importants du 20e siècle. Ses photographies de l’Amérique en crise dans les années 1930, ses projets publiés dans le magazine Fortune dans les années 1940 et 1950 et son « style documentaire » ont influencé des générations de photographes et d’artistes. Par son attention aux détails du quotidien, à la banalité urbaine et aux gens de peu, il a largement contribué à définir la visibilité de la culture américaine du 20e siècle. Certaines de ses photographies en sont devenues les icônes.
Rétrospective de tout l’œuvre d’Evans, l’exposition présentée par le Centre Pompidou propose une approche thématique et inédite à travers trois cents photographies d’époque. Elle met en évidence l’obsession du photographe pour certains sujets comme l’architecture des bords de route, les devantures de magasins, les enseignes, les signes typographiques ou les visages. Elle invite le public à mieux saisir ce qui constitue sans doute le cœur de l’œuvre de Walker Evans : la recherche passionnée des caractéristiques fondamentales de la culture vernaculaire américaine. Dans un entretien réalisé en 1971 le photographe explique cet attrait en ces termes : « Vous ne voulez pas que votre œuvre vienne de l’art ; vous voulez qu’elle prenne origine dans la vie ? C’est dans la rue qu’elle se trouve. Je ne me sens plus à l’aise dans un musée. Je ne veux pas les visiter. Je ne veux pas qu’on m’apprenne quoi que ce soit. Je ne veux pas voir de l’art ‹ accompli ›. Je m’intéresse à ce que l’on appelle le vernaculaire. Par exemple, l’architecture accomplie, je veux dire ‹ cultivée ›, ne m’intéresse pas, j’aime davantage chercher le vernaculaire américain. »
Aux États-Unis, le vernaculaire définit des formes d’expression populaire employées par des gens ordinaires à des fins utilitaires : tout ce qui se crée en dehors de l’art, hors des circuits de production et de légitimation, tout ce qui finit par constituer une culture spécifiquement américaine. Ce sont tous les petits détails de l’environnement quotidien révélant une forme d’« américanité » : les baraquements en bois des bords de route, la façon dont le commerçant dispose la marchandise dans sa vitrine, la silhouette de la Ford T, la typographie pseudo-cursive des enseignes Coca-Cola. C’est une notion centrale pour comprendre la culture américaine. Le vernaculaire est présent dans la littérature dès le 19e siècle, mais c’est seulement à la fin des années 1920 qu’il fait l’objet d’une première analyse dans le domaine de l’architecture. Son importance au sein de l’art américain sera ensuite théorisée, dès les années 1940, par John Atlee Kouwenhoven, un universitaire spécialiste des études culturelles et proche de Walker Evans.
Après une introduction consacrée aux débuts modernistes d’Evans, l’exposition réunit, dans une première partie, les principaux sujets qu’Evans n’a cessé de traquer : la typographie d’une enseigne, un étalage, une devanture de petit commerce… Puis, le parcours dévoile comment Evans a lui-même adopté les modes opératoires ou les formes visuelles de la photographie vernaculaire en devenant, le temps d’un projet, photographe d’architecture, de catalogue, de rue, tout en revendiquant explicitement une démarche d’artiste. Cette exposition est la première grande rétrospective consacrée à l’œuvre de Walker Evans dans une institution muséale française. Elle retrace, des premières photographies de la fin des années 1920 jusqu’aux Polaroids des années 1970, la totalité de la carrière de l’artiste à travers un ensemble jamais réuni de photographies d’époque provenant des plus importantes collections publiques américaines (Metropolitan Museum et Museum of Modern Art à New York, J. Paul Getty Museum à Los Angeles, Art Institute de Chicago, National Gallery of Art de Washington, etc.) et d’une quinzaine de collectionneurs privés. À travers une centaine de documents et d’objets, elle accorde aussi une large place à l’ensemble de cartes postales, de plaques émaillées, d’images découpées et d’éphéméra graphiques réuni par Walker Evans tout au long de sa vie.