« Hundred Thousand Light Years » évoque à la fois le nom de la première exposition personnelle de Gao Weigang en Europe mais aussi le titre de l’une de ses pièces les plus discrètes, présentée chez VNH Gallery. L’oeuvre se compose de trois petits dés polis, façonnés à partir des fragments d’une météorite de couleur sombre. Arrivés sur terre après un voyage tumultueux pouvant durer jusqu’à plusieurs millions d’années, ces aérolithes façonnés par cette épreuve nous sont parvenus par le fruit d’un hasard qu’ils semblent désormais incarner sous cette nouvelle forme, symbole par excellence de la loterie imposée par le destin. Emprunter le titre d’une pièce miniature pour désigner l’ensemble d’une exposition est caractéristique de la démarche singulière de Gao : une présentation sobre, dépouillée, toute en simplicité. Pourtant, seul un observateur avisé sera en mesure de déchiffrer le message enfoui et de saisir son discours. Un ancien proverbe chinois dit : « Sous le sourire se dissimule l’aiguille ». Dans l’œuvre de Gao, cette aiguille est une théorie omniprésente dont la finalité est avant tout d’éveiller la conscience du spectateur.
Sceptique de nature, Gao crée fréquemment des œuvres d’art sans équivoque. Il parvient ainsi à instaurer des conflits et des effets théâtraux, exhortant le spectateur à une remise en question existentielle. Dès l’entrée de la salle principale, le regard du visiteur est retenu par une bascule géante et saisissante ; l’extrémité haute supporte un bloc d’une taille significative tandis qu’à l’opposé, près du sol, repose une pierre de taille bien plus réduite. Intitulée « Fate » (« Destin », 2016), l’œuvre, de par son impeccable réalisme, fait oublier au spectateur que le rapport d’équilibre de la structure défie les lois de la physique. Malgré sa dimension imposante, Fate dégage une présence calme et résolue, à l’image des principes tacites qui régissent nos existences. En d’autres termes, certains paradoxes dépassent notre champ cognitif et nous amènent à réfléchir à une réalité inconnue mais objective qui les sous-tend.
Le scepticisme de Gao se ressent également dans les deux pièces baptisées « Prophecy » (2016) ; l’une s’apparente à une lune pleine, l’autre est en forme de croissant. Naturellement, une association est alors faite avec la représentation des phases lunaires, cependant aucune n’est la représentation fidèle du satellite que nous observons chaque jour dans le ciel. L’artiste explique qu’il y a souvent un très grand écart entre notre perception et la réalité des choses qui nous sont familières.
Cette précédente réflexion se déploie aussi dans la série « Up » (2016) dans laquelle l’artiste nous présente un escalier dont il n’a préservé que les contours. Le spectateur associe alors inconsciemment cette forme minimale à un mouvement ascendant et aux perspectives symboliques auxquelles nous sommes invités. Selon l’artiste, plus un objet paraît simple de par sa conception, plus le spectateur est amené à puiser dans ses souvenirs pour le réinterpréter à sa manière.
En jouant avec les formes et les titres, Gao évite délibérément une explication directe et univoque de son travail. L’artiste indique une direction, mais laisse le visiteur s’approprier l’œuvre et concevoir sa propre réflexion, guidée par la poésie des œuvres. De prime abord, « You and Me » (2012-2016) semble être une pleine lune posée sur un trépied mais une observation plus minutieuse de l’œuvre laisse apparaître certains éléments qui viennent contredire notre première impression ; ce sont finalement les contours familiers de la planète Terre que le spectateur contemple. Parodie de l’expression amoureuse éculée : « Toi et moi jusqu’à la fin du monde », l’œuvre est cependant empreinte d’une sincérité inaltérable.
L’interprétation se veut tout aussi poétique pour la série « You were me » (2016). A première vue, des petits fragments de miroir semblent avoir été éparpillés au hasard sur un morceau de tissu. Une lecture plus attentive des œuvres dévoile des compositions soigneusement travaillées et orchestrées formant des ensembles parfaitement symétriques. Du chaos émerge ainsi un geste romantique qui montre la volonté de l’artiste de détruire pour reconstruire les systèmes logiques de manière inventive.
Gao invite implicitement le public à s’emparer du sens de ses œuvres en autorisant la projection d’une toute autre réalité, et rêver à une vision d’un monde sans restriction. Telle est l’intention symbolique de l’artiste lorsqu’il place une œuvre dorée, « Door » (2016), à l’entrée de l’exposition. L’artiste emmène le visiteur dans une nouvelle dimension spatio-temporelle située au-delà des perceptions traditionnelles du monde matériel et dans laquelle il peut conceptualiser non seulement le « soi », le « destin » et le « cosmos », mais aussi leurs interrelations.
Dans « Autobiography » (2014), l’artiste expose sur un tissu sombre une collection de minéraux qu’il rassemble depuis de nombreuses années et façonne ici un semblant d’univers que l’on peut saisir dans son ensemble. L’œuvre permet au spectateur de laisser son regard se perdre dans l’immensité de ce cosmos reconstitué ou de s’attarder sur la beauté de petites présences individuelles.
La démarche artistique de Gao ne se résume pas à la poursuite obligée de ce que l’on appelle les propositions d’« intervention sociale » ou d’« esthétique relationnelle ». Il souhaite avant tout inciter à la prise de conscience de toute une série de processus modestes et variés, en explorant sans relâche les langages du monde matériel et en construisant des expériences spirituelles au travers d’un réexamen permanent des formes et des symboles. Il ne cherche pas à utiliser l’art pour professer bruyamment une théorie philosophique, des opinions politiques ou une responsabilité sociale. Pour lui, l’art est un processus créatif romantique et individuel dans lequel le soi est soumis à un examen rigoureux. Gao transpose dans chacune de ses œuvres les expériences de la vie et les émotions qu’il éprouve à chaque instant, s’efforçant ainsi de se trouver lui-même et de saisir un fragment de la complexité de notre monde.