« Au début des années 1960, j’ai eu la chance de rencontrer de nombreux artistes comme Andy Warhol, Jasper Johns, Robert Rauschenberg, John Cage, Trisha Brown, Carolee Schneeman, qui ont eu une influence majeure sur mon travail. Que ce soit une performance ou un tableau, tout ce qui leur venait à l’esprit, ils le faisaient vraiment ! Je me suis rendu compte que la poésie avait 75 ans de retard derrière la peinture, la sculpture, la danse et la musique. Si ces artistes y arrivaient, pourquoi pas moi avec la poésie ? »1 John Giorno
I Love John Giorno est la première rétrospective mondiale sur la vie et l’oeuvre du poète américain John Giorno (né en 1936, vit à New York), figure majeure de la scène underground américaine des années 1960. L’exposition est conçue par l’artiste suisse Ugo Rondinone (né en 1964, vit à New York) comme une oeuvre à part entière.
« J’ai imaginé l’exposition en huit chapitres qui représentent chacun une facette de l’oeuvre foisonnante de Giorno. L’ensemble reflète son processus de travail et permet de comprendre la double influence de la culture américaine et du bouddhisme sur sa vie et son art, » 2 explique Ugo Rondinone.
« Rondinone a sculpté cette exposition avec l’exigence d’un physionomiste modelant la vie intérieure de Giorno en miroir de son oeuvre. C’est dans un Palais de Tokyo transformé en ‘palais des glaces’ que le visiteur est invité à traverser le labyrinthe d’une vie, reflétée dans mille éclats de miroirs - que ce soit les premiers films inédits de Warhol, de rares thangkas bouddhistes ou les poèmes peints de Giorno ». Florence Ostende
Personnage iconique des premiers films d’Andy Warhol, Giorno s’inspire de la libre appropriation des images du Pop Art et capture sur le vif la langue populaire des publicités, de la télévision, des journaux et de la rue. Dans la lignée de la Beat Generation, il renouvelle le genre de la « poésie trouvée » et oeuvre pour rendre la poésie ouverte à tous.
Dès le début des années 1960, Giorno conçoit le poème comme un virus qui doit se transmettre au plus grand nombre. En composant un simple numéro de téléphone, son oeuvre culte Dial-A-Poem [Composez un poème] (1968) rend accessible l’écoute de poèmes par téléphone et dépasse rapidement le million d’appels.
Qu’ils soient enregistrés sur un disque, peints sur une toile, déclamés sur scène ou déstructurés sur la page d’un livre, les poèmes sont considérés par Giorno comme des images, dont la reproduction par la technologie est sans limite. « À l’ère du sampling, du copier-coller, de la manipulation digitale du texte et de l’art de l’appropriation - qui trouve son apogée dans le hip hop et l’orgie textuelle du web - le monde rattrape enfin les techniques et les styles dont Giorno fut le pionnier il y a plusieurs décennies ». 3
À la croisée de la poésie, des arts visuels, de la musique et de la performance, l’exposition révèle l’influence marquante de la vie et de l’oeuvre de Giorno sur plusieurs générations d’artistes qui ont réalisé son portrait - du chef-d’oeuvre filmique Sleep (1963) d’Andy Warhol à son remake par Pierre Huyghe, en passant par R.E.M, Rirkrit Tiravanija, Elizabeth Peyton, Françoise Janicot, Verne Dawson, Billy Sullivan et Judith Eisler.
La section dédiée au Giorno Poetry System (1965-1993), confiée au commissaire d’exposition Matthew Higgs en collaboration avec les artistes Angela Bulloch et Anne Collier, retrace l’activité de production, de diffusion et de promotion de plus de 50 disques et albums par 150 artistes, musiciens, poètes et performers dont Frank Zappa, Debbie Harry, William S. Burroughs et Phillip Glass.
Célèbre pour ses sculptures anthropomorphiques, ses masques noirs et ses clowns hyperréalistes, Rondinone réinvente ici le format de la rétrospective à la manière d’un portraitiste. Rondinone affirme la nécessaire reconquête d’une forme de spiritualité à travers les correspondances entre art et poésie.
« Le titre I Love John Giorno est un ‘ Je ‘ collectif dans lequel Ugo Rondinone invite chacun de nous à partager et à ressentir l’engagement spirituel et politique d’une figure emblématique de la contre-culture américaine. Bien plus qu’une première rétrospective, cette exposition est une déclaration d’amour qui marque l’invention d’un nouveau genre ». Florence Ostende
Avec : Anne Collier, Angela Bulloch, Verne Dawson, Judith Eisler, John Giorno, Mark Handforth, Matthew Higgs, Pierre Huyghe, Françoise Janicot, Scott King, Elizabeth Peyton, Ugo Rondinone, Erik Satie, Michael Stipe, Billy Sullivan, Rirkrit Tiravanija, Andy Warhol.
En écho à l’exposition, deux performances de John Giorno sont présentées avec le Festival d’Automne à Paris :
John Giorno Live, de et avec John Giorno, le 18 novembre 2015, au Palais de Tokyo. Cet événement exceptionnel en présence de John Giorno propose de faire l’expérience inédite de son large répertoire performatif, avec une sélection de poèmes pour certains inédits. L’artiste a imaginé spécifiquement pour cette occasion un environnement sonore live de poèmes enregistrés en studio avec l’inventeur mythique du synthétiseur, Bob Moog. Une projection continue de films autour du poète américain accompagne cette présentation dont « Poetry In Motion » (1982) de Ron Mann, « No Accident » (1995) de Michel Negroponte, « Loving Kindness » (1995) de Peter Ungerleider.
Streetworks, de John Giorno, proposé pendant toute la durée de l’exposition. Il s’agit d’une distribution continue et en rollers de poèmes de Giorno aux visiteurs et passants des alentours du Palais de Tokyo. Elle réactive sa participation aux performances « Street Works », initiées en 1969 dans les rues de New York par un groupe d’artistes et de poètes.
Par ailleurs, John Giorno proposera une performance autour d’Andy Warhol, suivie d’une discussion avec Florence Ostende le 23 novembre au Centre Pompidou- Metz dans le cadre de l’exposition Warhol Underground, ainsi qu’une performance à la Maison Rouge le 25 novembre.
L’écho se poursuit au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris à l’occasion de l’exposition « Andy Warhol, Unlimited » à partir du 02 octobre 2015 et à la galerie Almine Rech, qui présente une exposition personnelle de John Giorno à partir du 21 novembre 2015.
Notes
1 Propos recueillis d’après l’entretien de John Giorno avec Hans Ulrich Obrist en 2002, in Hans Ulrich Obrist: Interviews Volume 2, Milan : Charta, 2010.
2 Propos recueillis par Florence Ostende, conversation avec l’artiste, décembre 2014.
3 Marcus Boon, « Introduction », in Subduing Demons in America, Selected Poems 1962-2007, Soft Skull Press, New York, 2008, p.X.