Croisant les champs de l’artisanat, du design, du graphisme et des arts plastiques, les œuvres de Bastien Aubry (1974) et Dimitri Broquard (1969) s’inspirent de la culture populaire, de l’art brut, des objets du quotidien et jouent de façon jubilatoire l’interaction des matériaux et des formes. Laissant visible le faire, leurs réalisations célèbrent la poésie de l’échec et la beauté du moins-que-parfait. Avec humour et parfois quelques grincements de dents, l’exposition propose un parcours dans un univers où les objets – parfois difformes – sont dysfonctionnels, où les équilibres sont instables et où les formes s’épanchent et sortent du cadre…
Pour ce projet inédit, Bastien Aubry et Dimitri Broquard ont mené un travail de recherche dans les archives de la Bibliothèque Smith-Lesouëf et ont réagi au contexte spécifique de la MABA. Ils se sont ainsi plus particulièrement attachés aux liens anciens et actuels du site avec la création artistique. Une certaine vision et esthétique romantique de l’art et de la peinture - aujourd’hui passée de mode - qui transparait aussi bien dans les oeuvres de Madeleine Smith, dernière occupante de la demeure où est installée la MABA, que dans celles des anciens résidents de la Maison Nationale des Artistes – maison de retraite pour artistes – est ainsi mise à l’épreuve du monde contemporain par le duo qui en propose de nouvelles alternatives.
À partir du titre de l’exposition Gitane à la guitare (trouvé dans un catalogue de peintures) et de ce qu’il véhicule en termes de codes associés à cette vision romantique - celle du peintre avec palette, pinceaux et chevalet - Bastien Aubry et Dimitri Broquard réinterprètent ceux-ci à l’ère 2.0 par des matériaux, des techniques, des médiums créant systématiquement des décalages, des déplacements ou des interférences. Un récit elliptique, entre ironie, blague potache et vision distanciée, se déploie ainsi salle après salle, chapitre après chapitre, Dans ce parcours, des palettes de peintre démesurément agrandies changent de forme ; d’outil elles deviennent support signifiant et jouent l’analogie terminologique avec la palette graphique, celle qu’utilisent justement les deux plasticiens pour certaines réalisations graphiques. Au sein de cet espace, les palettes cohabitent avec d’étranges potences sur lesquelles sont placées des cruches imprimées d’images provenant d’archives de la MABA qui questionnent les modalités idéales de monstration des œuvres.
Une autre installation reprend un autre archétype, celui de l’atelier d’artiste. Mais là encore, celle-ci déroute. Restant reconnaissables mais formellement revisités, tous les éléments sont recouverts d’une couche de noir : cadres, chaînes d’accrochage comme chevalet. A la manière d’un clin d’œil appuyé, la couleur noire renvoie de façon un peu trop évidente à la mélancolie et par extension à cette vision romantique.
D’autres oeuvres jouent, quant à elles, la banalisation et la pauvreté des matériaux en utilisant ceux issus du BTP. Parmi elles, des dessins sur des plaques de placoplâtre qui illustrent la vie de bohème ou des sculptures en polystyrène qui confrontent l’image représentée – celle d’une sculpture imprimée en sérigraphie sur ces blocs - à la forme sculpturale réelle, celle constituée à partir de ces mêmes blocs assemblés par tâtonnements à la manière d’un jeu de construction, sans que le modèle initial ne soit jamais atteint. Dans ces sculptures, le lien signifiant/ signifié est contredit ici, tout comme les rapports entre bidimensionnalité et tridimensionnalité qui se trouvent troublés par le contenu de la représentation.
Enfin, d’autres sculptures aux formes indéterminées, en papier mâché, sont placées sur des supports de bois. Celles-ci, recouvertes de motifs similaires trouvés via le comparateur d’images de google, interrogent via la répétition des motifs et les variations et distorsions dans cette sérialité comme dans l’image référente initiale, la notion de standard.
Refusant l’aspect hiérarchique traditionnel entre les genres dits « majeurs » - que seraient la peinture, la sculpture et l’architecture - sur des arts dits « mineurs » - la céramique ou les oeuvres imprimées par exemple - l’exposition joue au contraire les équivalences et met sur un même plan, œuvres uniques et multiples, original et copie, travail manuel et numérique, imprimé et tracé, bon et mauvais goût, art/artisanat et industrie, concept et mise en œuvre…
Au final, prenant un angle d’approche rétrospectif, le duo, aborde dans un joyeux foisonnement, certaines des questions cruciales qui traversent la création contemporaine actuelle, en évoquant les questions de cycles et d’effets de mode dans les goûts, les techniques ou les modes de monstration des œuvres. Ainsi avec une grande liberté et facilité à s’approprier et à mixer les codes et les influences, Bastien Aubry et Dimitri Broquard déplacent le sujet vers la forme et la mise en œuvre.
Le duo se rencontre à l’Ecole d’Art de Bienne (CH) dans les années 90 où il apprend les bases strictes du graphisme suisse et les joies de l’expérimentation visuelle. C’est plus tard, en 2002, qu’ils fondent à Zurich le studio de graphisme FLAG qui réalise alors divers projets dans le domaine culturel, tels que, affiches, magazines, illustrations. Désormais et depuis 2007, les artistes, s’affichent, sous leurs vrais noms, dans une démarche plastique qui privilégie de plus en plus l’installation.