Magnifiquement aluminium / Soleil violet / Une démesure.

Quand Anne Barrault m’a proposé d’exposer des artistes de mon choix dans sa galerie, j’ai eu envie d’une situation de face à face, plutôt opportune au regard de l’espace. J’ai alors imaginé la rencontre entre Anne Bourse et Emilie Perotto comme un portrait en creux de ma propre pratique. Je les ai immédiatement associées pour le rapport fondamental que chacune d’elles entretient à la production et pour la matérialité de leurs oeuvres.

Anne Bourse travaille à partir de découpages, de collages, de dessins, de fonds colorés, d’images imprimées, de dessins sur soie et parfois d’assemblages d’objets un peu «foutus» qu’elle chérit et à qui elle accorde sa confiance. Je me remémore une gamme chromatique précise: violet / rose / jaune / bleu/ vert pâle / vert pomme / noir.

Chacune de ses oeuvres est douée d’une évidente légèreté propre aux matériaux choisis. Cette matérialité nous dit profondément que l’essentiel de la vie se situe aussi ailleurs que dans une pénibilité ou un devoir.

J’y vois une stratégie critique, malicieuse, pour déjouer les contingences matérielles quotidiennes. Ses formes ne doivent pas l’encombrer spatialement. Elle dessine régulièrement pour ses ami(e)s de faux billets de banque. Anne sait réaliser des formes magiques avec presque rien, elle crée sa propre économie, en sachant transformer du papier en un joyau.

Lever de soleil / Coucher de soleil / Où je suis en ce moment (1)

L’installation m’évoque les chambres japonnaises. Je me suis assise autour de la housse de couette que je nomme la «couette-jumeau» qui est ornementée de cigarettes peintes à l’encre pour soie. Les cigarettes «dansent le motif». Sur les murs noirs, elle a aligné ces fonds aux couleurs passées, douces et très sensuelles.

A côté, un bouquet courbé, au squelette de bouteilles en plastique, de fleurs chapardées dans des halls d’immeubles et de cartes de visite imaginaires. Petit Ikebana secrétaire mélancolique, qui semble devoir prendre dix rendez-vous par jour, happé par les affres d’une compétition absurde.

Emilie Perotto réalise des sculptures à échelle imposante. Ses formes se construisent avec des matériaux coûteux, comme l’acier inoxydable, le topan noir, la fonte d’aluminium. Lumière blanche et argentée. J’aime énormément la démesure de sa démarche. Sans concession, ni superflu. Tout est démesurément préparé, je dirai même cadenacé. Ce n’est pas fréquent d’être si rigoureuse dans l’anticipation d’une forme et de sa spatialisation. Emilie Perotto fait appel à un savoir-faire qu’elle ne possède pas, travaillant régulièrement avec un artisan et d’autres fois avec des apprentis ferronniers ou encore des menuisiers qui ont réalisé pour et avec elle la forme désirée. Lors de la réalisation, Emilie intègre autant leurs points de vue que leur technicité. Les sculptures sont en quelque sorte la mise en forme du faire-ensemble. Elle élabore ainsi sa propre économie et sa propre chaîne de production.

L’esprit de contradiction (sculpture capucine)1/2(2)

Une armée de glaives noirs enfilés sur le tube-corps d’argent du Roi. Une sculpture majestueuse serait comme l’abstraction de La bataille de San Romano peinte par Uccello. Perception frontale. Les glaives en topan noir attendent d’être regardés et menacent de nous assommer. On imagine à travers le dessin de la sculpture une mécanique aux mouvements impitoyables.

Il est rare en tant qu’artiste de pouvoir regarder d’autres artistes au travail et de se mettre en retrait pendant qu’une rencontre de formes et de langages se passe sous vos yeux. Je n’ai pas eu à convaincre Anne Bourse et Emilie Perotto à montrer leurs oeuvres ensemble. Je désirais simplement que la rencontre se dessine sans forcer quoi que ce soit. Les pratiques et la matérialité de leurs oeuvres disent quelque chose de politique chacune à leur façon. Ces deux femmes artistes créent leur propre autonomie.

Sarah Tritz, janvier 2015

Notes

1 Installation vue lors de l’exposition personnelle de Anne Bourse, Lever de soleil / Coucher de soleil / Où je suis en ce moment, en septembre 2014 chez Bikini à Lyon

2 Sculpture vue lors de l’exposition collective, Passages, Centre d’art Les Capucins, Embrun