La Galerie Thaddaeus Ropac a le bonheur d’accueillir une importante exposition de sculptures d’Antony Gormley dans les vastes salles de son site de Paris Pantin. Ces oeuvres prolongent une réflexion sur le corps et l’espace, par laquelle l’artiste interroge le corps comme lieu et l’architecture comme principal facteur conditionnant notre appréhension de son environnement. Antony Gormley tire pleinement parti des dimensions et des volumes des anciens ateliers de chaudronnerie où s’est installée la galerie, en activant notre perception de l’espace et du temps par le biais de sculptures qui constituent des “champs”, ensemble ou isolément. Il confiait récemment son “intérêt grandissant pour les thèmes du cadre, du contenant et du bâti libérés de la fonction d’abri assignée à l’architecture” et son désir de “créer une architecture psychologique autorisant un libre jeu entre la surface et la masse, le clair et le foncé, le vide et le plein, dans des oeuvres qui deviennent les lieux d’une aventure en temps réel”.
Dans la première salle de l’exposition, l’oeuvre Hole, telle une maquette de “corps-maison” de quatre mètres de haut, objective et intériorise la relation entre le corps percevant et son habitat. L’artiste creuse et perfore l’enveloppe corporelle normalement close et recourt à un langage de cellules, couloirs, trouées et fenêtres, transformant le corps subjectif en une demeure aux nombreuses pièces. L’idée de la transmutation du corps anatomique en un assemblage de cellules imbriquées se poursuit dans l’installation Expansion Field. Soixante sculptures, réparties en quatre rangées, composent un environnement total, construit en tôle d’acier Corten à partir d’expansions d’une vingtaine d’attitudes fondamentales du corps. Chaque oeuvre résulte d’un accroissement régulier du coefficient d’expansion appliqué aux cellules constitutives d’un corpsbloc d’acier en particulier. Le groupe de sculptures considéré dans son ensemble constitue un “champ”, dont l’agencement minimaliste répétitif n’est pas sans évoquer les alignements de mégalithes de Carnac. Dans la nef principale, un champ de stèles en fonte beaucoup plus grandes que l’échelle humaine plonge le spectateur dans une forêt totémique où il est invité à discerner des attitudes corporelles exprimant une large gamme d’émotions, depuis la réticence jusqu’à la joie exubérante.
Une oeuvre in situ est conçue spécialement pour la quatrième salle de la Galerie Thaddaeus Ropac à Pantin. Matrix II est une architecture virtuelle, un dessin en trois dimensions qui engendre seize volumes de la taille d’une pièce d’appartement, articulés autour d’un vide aussi grand que deux corps debout côte à côte. L’artiste utilise un treillis métallique analogue aux coffrages des bâtiments en béton, coulé ici pour interroger les formes et les structures de l’habitat humain.
L’oeuvre se dévoile à la vue du spectateur en mouvement, l’invite à la pénétrer du regard, mais lui refuse tout accès physique. Elle le met au défi de distinguer entre premier, second et arrière-plan dans la superposition de multiples trames, au prix d’un effort optique vertigineux. En tournant autour de la sculpture, le visiteur génère un champ perceptif déroutant, où la relation entre la figure et le fond s’inverse, tandis que l’effet multiplicateur de la perspective comprimée affole le regard. Matrix II offre l’illustration la plus récente d’une réflexion continuelle sur ce que l’artiste appelle le deuxième corps : les formes de notre environnement façonné par l’homme.
Toutes ces sculptures ont pour effet de désorienter le spectateur et de l’entraîner dans un parcours d’auto-observation. La présentation des oeuvres s’inscrit dans la continuité de la démarche de l’artiste, qui envisage les expositions comme autant de lieux d’expérimentation physique et psychologique.
Un livre reproduisant toutes les oeuvres exposées, avec un texte signé par le choregraphe américain William Forsythe, un essaie de l’historienne d’art Guitemie Maldonado et une conversation entre Antony Gormley et Hans Ulrich Obrist sera publié au printemps 2015.
Antony Gormley est né à Londres en 1950. Après avoir achevé ses études en archéologie, anthropologie et histoire de l’art au Trinity College de Cambridge, il passe trois ans en Inde. De retour en Angleterre, il poursuit sa formation au Goldsmiths College et à la Slade School of Art dépendant de l’université d’arts plastiques de Londres.
Il a été le lauréat du Turner Prize en 1994, du South Bank Prize en 1999 et reçu l’insigne de l’officier de l’ordre de l’Empire britannique en 1997 et il est entré à la Royal Academy en 2003. En 2011 il a reçu le Laurence Olivier Award for Outstanding Achievement in Dance en reconnaissance pour sa scénographie de Babel de Sidi Larbi Cherkaoui. En 2013 il a reçu le Praemium Imperiale et en 2014 il a été fait Chevalier Commandeur de l’Ordre de l’Empire britannique pour services rendus aux Arts.
Le travail de Gormley a été largement présenté à travers le Royaume-Uni et à l'étranger avec des expositions au Centro Cultural Banco do Brasil, São Paulo, Rio de Janeiro et Brasilia (2012) ; Deichtorhallen, Hambourg (2012) ; The State Hermitage Museum, St Petersbourg (2011) ; Kunsthaus Bregenz, Autriche (2010) ; Hayward Gallery, Londres (2007) ; Malmö Konsthall, Suède (1993) et Louisiana Museum of Modern Art, Humlebæk, Danemark (1989). Il a également participé à des grandes manifestations tels que la Biennale de Venise (1982 et 1986) et Documenta 8, Kassel, Allemagne (1987).
Les expositions récentes notables des oeuvres de Gormley sont : Expansion Field, Zentrum Paul Klee, Berne, Suisse (5 septembre 2014 - 11 janvier 2015); Sesostris III: A Legendary Pharaoh, Palais des Beaux Arts, Lille, France (19 octobre 2014 - 25 janvier 2015) et Sculpture 21st: Antony Gormley, Lehmbruck Museum, Duisburg, Allemagne (22 novembre 2014 – 1 février 2015). En mai 2015 l’exposition Land aura lieu à divers endroits au Royaume-Uni et sera visible pendant un an.