Célèbre dans le monde entier grâce au souvenir du Colosse, l’une des sept merveilles du monde antique et de la présence des chevaliers de Saint-Jean à l’époque médiévale, l’île de Rhodes, la plus orientale des îles du Dodécanèse, fut dès l’Antiquité, un lieu privilégié d’échanges entre l’Égée et l’Orient. Les quelques 380 oeuvres réunies à l’occasion de cette exposition, en provenance des musées de Rhodes, du British Museum, de Copenhague et du Louvre, font découvrir la richesse de l’archéologie rhodienne entre les XVe et Ve siècles avant J.-C. (de l’âge du bronze à la fin de l’époque archaïque) en présentant les joyaux d’une production très diversifiée en terre cuite, en or, en argent et en bronze, en faïence et en verre, en pierre, en os et en ivoire...
Rhodes, une île grecque aux portes de l’Orient évoque d’abord l’histoire des fouilles, menées par des archéologues français, britanniques, danois, italiens et grecs. Un important travail sur les archives a permis d’éclairer l’histoire méconnue des premières fouilles franco-britanniques au XIXe siècle, notamment la découverte du site de Camiros par l’artiste-photographe et archéologue Auguste Salzmann.
L’ensemble des oeuvres présentées nous invitent à la découverte de la mixité culturelle de cette île du Dodécanèse, terre d’échanges en Méditerranée orientale, les fouilles ayant mis au jour des productions importées d’Egypte, du Levant ou d’un Orient plus lointain (Syrie, Phénicie, Jordanie, Phrygie, Iran, Arménie…) dont certaines vont jusqu'à associer des inscriptions grecques et phéniciennes.
Les recherches sur l'art et l'artisanat rhodiens ont permis de souligner l'importance des vases à parfum, en céramique, en verre et même, ce qui est rare, en faïence, un artisanat lié d'ordinaire à l'Égypte et au Levant. En raison de l'intensité des contacts avec la Méditerranée orientale, Rhodes a aussi créé une orfèvrerie orientalisante très originale, sans équivalent dans le monde grec.
Auguste Salzmann, une figure pionnière dans l’archéologie du XIXe siècle
L’inauguration au Louvre d’une exposition sur Rhodes reflète le souci d’articuler étroitement le programme des expositions aux recherches sur ses collections. Partagées entre quatre départements (les trois départements antiques et les Arts de l’Islam), les collections « rhodiennes » du musée du Louvre proviennent, pour l’essentiel, des fouilles conduites par Auguste Salzmann à Rhodes ou dans ses environs entre 1859 et 1868.
Artiste peintre, dont les oeuvres ont pratiquement disparu, mais qui a exposé dans différents Salons entre 1847 et 1851 et dont une toile, Les Colonnes, suscita en 1847 l’enthousiasme de la jeunesse marseillaise ; dessinateur, notamment au cours du voyage en Algérie qu’il effectua en 1847-1848 avec son ami Eugène Fromentin, lequel croqua le portrait de son compagnon habillé en Turc ; photographe médaillé en 1855 pour ses vues sur Jérusalem, dont le talent est pleinement reconnu de nos jours ; poète qui s’est illustré dans le conte oriental et dont Théophile Gautier salue les dons littéraires ; architecte, qui entendait proposer une nouvelle restitution du mausolée d’Halicarnasse, une des sept merveilles du monde, et qui, fort de la réputation acquise à Jérusalem, en compagnie de son ami Charles Mauss, chargé en 1862 de la reconstruction de la coupole du Saint-Sépulcre, fut sollicité par les autorités égyptiennes pour un programme de restauration et de reconversion en musée de la mosquée du sultan Hassan au Caire, un chef-d'oeuvre architectural du XIVe siècle, Auguste Salzmann se définit surtout comme un archéologue déterminé à servir la science. Doté de compétences multiples rarement réunies en une seule personne, Auguste Salzmann se distingue aussi de ses contemporains par l’importance qu’il attache au contexte archéologique, ainsi qu’à la restauration des objets, pour lesquels il préconise dans une de ses lettres des méthodes de nettoyage qui forcent l’admiration.
Tombé dans l’oubli du fait de sa mort prématurée survenue avant la publication de ses travaux scientifiques, Salzmann est une figure passionnante et méconnue de l’archéologie du XIXe siècle. Tout en illustrant, de façon emblématique, le naufrage des sources, il montre tout ce que l’étude des archives peut apporter à la compréhension de son oeuvre et des collections qu’il a mises au jour. Bien que ses journaux de fouilles, ses photographies et ses portefeuilles de dessins aient disparu, le dépouillement de trois fonds d’archives a permis de revenir sur la chronologie et la topographie des fouilles qu’il conduisit à Camiros, le premier site archéologique à avoir été exploré à Rhodes au XIXe siècle. Les informations recueillies dans la correspondance de Salzmann s’avérèrent vite trop importantes pour que l’on puisse leur rendre justice dans le seul catalogue de l’exposition. Le premier chapitre d’un livre consacré à la céramique du style des chèvres sauvages, un style révélé dans les fouilles de Camiros, se focalise sur Salzmann, son apport à l’archéologie et sur les collections rhodiennes du Louvre. Cet ouvrage accompagne une exposition dossier « de Rhodes à Milet », conçue en marge de l’exposition Rhodes, dont il fut le pourvoyeur.
Anne Coulié, conservateur au musée du Louvre