L’exposition incite à relire la période du XIe au XVe siècle, véritable apogée de l’Occident islamique, tant du point de vue historique qu’artistique. Une succession de dynasties - almoravide, almohade et mérinide - ont unifié un espace politique et civilisationnel centré sur le Maroc, regroupant des territoires de l’Afrique sub-saharienne jusqu’en Andalousie. L’influence de ces empires, unissant pour la première fois les confins de l’Occident islamique, a rayonné jusqu’en Orient. Réunissant près de 300 oeuvres, cette importante exposition, organisée par le musée du Louvre et la Fondation nationale des musées du Maroc, présente les plus belles réalisations dans les domaines du décor architectural, du textile, de la céramique ou de la calligraphie et permet d’appréhender cette longue et riche histoire, clef de compréhension du Maroc contemporain et source de sa modernité.
Le Maroc médiéval invite à un voyage dans l’espace marocain et andalou, suivant un fil chronologique, chacune des périodes historiques est ponctuée d’éclairages sur les lieux de pouvoir et capitales historiques, cités d’or et de lumière. De Fès à Séville en passant par Aghmat, Tinmal, Marrakech, Ceuta, Rabat ou Cordoue, le parcours retrace les chantiers architecturaux majeurs et les oeuvres créées pour ces villes. Chefs-d’oeuvre célèbres et spectaculaires (tel que le lustrecloche de la mosquée al-Qarawiyyin de Fès), récentes découvertes et objets méconnus, se croisent au sein de l’exposition. Eléments d’architecture (portes, chapiteaux), mobilier et objets servant au culte (minbars, bassins d’ablutions, manuscrits) ou témoignages de la vie quotidienne (céramiques, pièces de monnaie) conservés dans les musées, mosquées et trésors d’église : tous apportent un nouvel éclairage de cette aire du monde islamique jusqu’à présent essentiellement lue depuis la rive andalouse.
Les conquêtes de ces grandes dynasties les ont menées du sud du désert du Sahara au nord de l’Algérie, de la Tunisie et de la Libye actuelles. L’exposition replace cette puissante entité au centre des réseaux diplomatiques et commerciaux qui furent les siens, des confins subsahariens jusqu’aux cités commerçantes de l’Italie médiévale, des royaumes chrétiens du nord de l’Espagne jusqu’au sultanat mamelouk d’Egypte. Elle permet aussi de rappeler qu’historiquement le Maroc fût un créateur d’empires.
Commissariat de l’exposition
Commissaires générales : Yannick Lintz, directrice de département des Arts de l’Islam, musée du Louvre, Paris, France et Bahija Simou, directrice des Archives Royales, Rabat, Maroc.
Commissaires scientifiques : Claire Delery et Bulle Tuil-Leonetti, musée du Louvre.
Naissance du Maghreb al-Aqsa (788-927)
L’exposition ouvre sur le territoire du Maghreb al-Aqsa – Maghreb occidental (actuel Maroc) – au lendemain de sa conquête par les troupes arabes, suite à l’arrivée en 789 d’un descendant du prophète Mohammed, Idris Ier. Installé dans l’ancienne colonie romaine de Volubilis, ce dernier va rapidement générer un véritable royaume autonome, celui des Idrissides. L’urbanisation du Maghreb occidental est en marche, et se traduit notamment par la fondation de Fès, capitale spirituelle et culturelle du Maroc jusqu’à nos jours. Rares sont les témoignages matériels de cette époque, au nombre desquels comptent des monnaies d’argent et l’une des pièces maîtresses de cette première partie de l’exposition, le minbar de la mosquée des Andalous. Ce royaume s’inscrit dans une dynamique régionale complexe, dont témoigne la coexistence avec le royaume de Sijilmassa au Sud, maître des routes de l’or.
Les Almoravides : le premier empire amazigh (berbère), 1049-1146
Le déclin de la dynastie idrisside au milieu du Xe siècle va permettre l’arrivée sur le devant de la scène politique des Almoravides au milieu du siècle suivant. Ces derniers, issus d’une confédération de nomades berbères venus des franges nord de la Mauritanie, sont portés par une volonté de réforme religieuse sunnite et malikite. C’est en armes que ces hommes au visage voilé parviennent rapidement à redessiner la cartographie de l’Occident musulman en formant pour la première fois un empire étendu du sud du Sahara au nord de la péninsule ibérique. Ils contrôlent donc les pistes caravanières, que traduisent la présence dans l’exposition d’une stèle d’Almeria trouvée à Gao et le trésor monétaire de Tidjikja (Mauritanie). Leur empire s’appuie sur une nouvelle capitale fondée en 1070, Marrakech, évoquée dans l’exposition grâce à des autochromes. Les importants travaux d’embellissement de la mosquée al-Qarawiyyin de Fès témoignent de la piété almoravide.
Les productions de luxe des ateliers espagnols et notamment Almeria, circulent dans tout l’empire pour réapparaître dans certains trésors d’église, comme la chasuble de Saint Exupère de la basilique Saint Sernin de Toulouse, exceptionnellement exposée dans son intégralité.
Les Almohades, ou la refondation d'un empire autour du dogme de l'unicité divine (1146 - 1269)
La seconde moitié du XIIe siècle est marquée par un affaiblissement du pouvoir central, et des révoltes populaires guidés par des chefs spirituels appelant à la réforme religieuse de l’empire. L’un d’entre eux, Ibn Tumart se proclame le nouveau guide, Mahdi, de la communauté : il parvient rapidement à fédérer les tribus berbères du sud du Maroc, autour d’un nouveau dogme unitariste. Les Almohades, partent alors à la conquête de l’empire almoravide qu’ils vont étendre jusqu’à la Libye actuelle, imposant à ce territoire la conversion à leur dogme. Témoin de cette période, le philosophe juif Maïmonide, dont un manuscrit autographe est exposé, est finalement poussé à l’exil. L’empire centralisé qu’ils élaborent s’articule autour de trois capitales que sont Marrakech et Séville mais également Rabat, qu’ils fondent en commémoration de leur effort de djihad en péninsule ibérique et de la victoire d’Alarcos. L’économie connaît une nouvelle période de faste qu’évoque la correspondance entretenue entre Pise et Tunis.
L’idéologie almohade s’appuie alors sur une propagande complexe qui passe par une nouvelle culture visuelle, où la calligraphie occupe une place inédite et où certains motifs, comme le lion, sont symboliquement réinvestis. La berbérité, et tout particulièrement la langue, sont pour la première fois l’objet d’une politique d’affirmation.
Les Mérinides : cheminements symboliques et retour à Fès (1269-1465)
Les difficultés militaires en Andalousie qui se produisent au début du XIIIe siècle sonnent le glas de ce deuxième empire qui va se morceler. Au Maghreb al-Aqsa, c’est la tribu berbère des Mérinides qui met un terme définitif au califat almohade en 1269 avec la chute de Marrakech. Si elle n’est portée par aucune volonté de réforme religieuse spécifique, cette dynastie va néanmoins s’appuyer sur une propagande complexe notamment articulée au soufisme et au chérifisme, et qui fait du sunnisme malikite la foi officielle. Elle s’approprie donc naturellement Fès, qui est symboliquement réinvestie en sa qualité de ville fondée par les Idrissides et cénacle religieux, dont elle fait sa capitale. Elle est dotée de nombreuses madrasas, ces collèges de sciences religieuses formant les élites du royaume, qui sont parées des plus beaux décors. Une nouvelle figure de souverain pieux apparaît, qui s’incarne dans la nécropole dynastique de Chella. Tourné vers la Méditerranée, le sultanat mérinide entretient d’importantes relations avec les royaumes chrétiens, d’Aragon ou de France, mais également avec ses coreligionnaires nasrides à Grenade, ziyanides à Tlemcen, hafsides à Tunis ou encore mamelouks au Caire. L’apogée de la période, le deuxième quart du XIVe siècle, porte en germe les ingrédients de sa fin, avec l’arrivée de la Peste noire à l’est et l’avancée inexorable des Chrétiens au nord. Dans le même temps commence à s’épanouir le souffle mystique et chérifien qui porte au pouvoir les futurs Saadiens.